mercredi 14 octobre 2015

Pic pétrolier – Cul par dessus tête [3/3]

Article original de Allan Stromfeldt Christensen , publié le 30 Septembre 2015 sur le site fromfilmerstofarmers.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Oubliez l’austérité et le Grexit – C’est l’heure du Gretaway !


Note du Traducteur

Dans ce dernier épisode, Allan propose un constat douloureux : sans énergie, des gens et même des pays peuvent se trouver exclus de la civilisation industrielle. Je vous laisse le plaisir de découvrir son Gretaway et la fin de son analyse.






« Prenez mon argent! Pleeeeeease! »



Donc nous sommes ici devant une sorte de précipice, en regardant le crépuscule de l’économie industrielle, dû au pic des approvisionnements énergétiques mais aussi au pic de l’offre de crédit (comme expliqué dans la partie 2 de cette série en 3 parties).




Autrement dit, puisque l’on est sur la phase de plateau du pic pétrolier, et avec des fournitures en combustibles fossiles qui, en général, atteignent leurs limites (et sont de plus en plus chers à extraire), il y en aura de moins en moins pour les besoins. Il faudra donc partager de manière de plus en plus parcimonieuse entre tous les participants. Mais puisque les gens à l’Ouest – et en particulier ceux des régions les plus riches – se sont largement habitués à un mode de vie à forte intensité énergétique et semblent n’avoir aucune intention de l’abandonner, cela implique probablement la mise en œuvre d’une autre approche que le partage : réduire, si ce n’est pas carrément couper, les livraisons de carburant aux personnes et aux nations de rang inférieur dans la hiérarchie de la civilisation industrielle. De cette façon, comme le gâteau des combustibles fossiles continue à se rétrécir, ceux des rangs supérieurs n’auront pas à réduire leur part de manière trop drastique, ils pourront conserver leurs consommations de Net-Flix et de gadgets juste un peu plus longtemps, jusqu’à ce que le tri les frappe inévitablement eux-aussi ou que le fond se dérobe complètement.

Ce tri peut être accompli de différentes façons, mais pour le moment, deux méthodes se démarquent comme étant les plus populaires [chez nos dirigeants, NdT].

La première forme est ce que nous connaissons sous le nom d’austérité, des coupes sont faites sur les pensions, les heures travaillées, les chèques de l’aide sociale, etc., de sorte que nous ayons moins de crédits (comprendre : argent) pour acheter et satisfaire nos passions sur les dépouilles de l’industrialisation. Malheureusement, notre mode de vie dans le monde moderne est tel que les nécessités vitales (comme la nourriture) sont aussi tributaires de l’industrialisation, de sorte que ce tri peut nous entraîner bien plus loin qu’une simple perte de nos gadgets.

Utilisons l’Europe comme exemple. La Grèce est tout en bas de la civilisation industrielle européenne car non seulement elle n’est pas une superpuissance de l’énergie fossile [Pas encore… des découvertes récentes pourraient changer la donne, NdT], mais elle n’est pas non plus une superpuissance industrielle. Il y a beaucoup d’huile d’olive à vendre ou échanger, mais l’huile d’olive (et le reste de leurs exportations) ne permettent pas aux Grecs d’obtenir du pétrole brut (et autres produits dérivés) au niveau où les pays des rangs supérieurs les absorbent. Les prouesses industrielles de l’Allemagne l’ayant placée sur la marche la plus élevée de la civilisation industrielle européenne, celle-ci peut distribuer largement des crédits et des prêts à sa base industrielle. La Grèce, elle, ne peut pas faire pareil, parce que non seulement l’huile d’olive ne fournit pas beaucoup de valeur ajoutée, mais après avoir abandonné la drachme pour l’euro il y a quelques années, elle a aussi renoncé à sa souveraineté financière et mis son destin économique entre les mains des autres. (Penser à cette question en termes de souveraineté financière peut être un peu trompeur, mais je vais y revenir dans un instant). Le résultat de tout cela est que la Grèce a encore plus de difficultés pour s’offrir le minimum indispensable à la civilisation industrielle, les combustibles fossiles.

Ceci dit, lorsque l’approvisionnement en énergie deviendra trop faible, le penchant de l’Allemagne à accorder des crédits à des pays comme la Grèce en sera considérablement amoindri, ce qui diminuera encore le contrôle de la Grèce sur ses approvisionnements en énergie. Mais pour le moment, l’Allemagne est disposée à alimenter la Grèce avec d’autres prêts, non pas pour que les vieilles retraitées grecques puissent se nourrir, mais surtout afin que la Grèce ait les moyens d’assumer le service de sa dette à l’Allemagne et ainsi éviter de contribuer à l’implosion finale de l’Allemagne, de l’Europe et de la pyramide de Ponzi que constitue le système bancaire. En outre, tandis que les bénéfices du renflouement de la Grèce ne sont principalement accordés qu’à la classe supérieure de la société, ils sont bien sûr accordés à des conditions draconiennes. Et ces conditions sont du genre suivant :
Eh bien, oui… Cette chose là, le Parthénon, bien sûr que c’est magnifique! Mais vous savez ce qui le mettrait encore mieux en valeur? Qu’il se trouve en Allemagne.


Blague à part, ça c’est l’austérité, et vous faites ce qu’on vous dit de faire. Car si vous ne faites pas ce qu’on vous dit, et que vous essayez de donner aux nécessiteux (afin qu’ils puissent manger) une partie des crédits qui vous ont été accordés pour l’énergie, alors vous risquez de voir votre pays privé du total de ses lignes de crédit. Toute légalité mise à part, ceci est la deuxième forme de tri (qui est en train de s’appliquer à une nation industrielle) : plutôt que de priver les plus pauvres du pays on va priver la nation toute entière.
Dans le cas de la Grèce, cette forme de tri est la version imposée de ce qui a été appelé Grexit (mot inventé par l’économiste Ebrahim Rahbari de Citigroup), qui est à l’opposé de la forme volontaire de Grexit dans laquelle c’est le gouvernement grec lui-même qui sort volontairement de la zone euro et reprend l’usage des drachmes. Le peuple grec s’est prononcé avec force contre un Grexit volontaire, puisque plus que tout, le peuple grec veut maintenir sa position dans le monde du progrès promis par la civilisation industrielle (indépendamment de savoir si, oui ou non, ils comprennent que c’est là leur désir profond).

La population grecque (comme d’ailleurs chaque population) croit généralement que le monde d’aujourd’hui fait face à une crise d’ordre politique. Donc, ils procèdent à un vote pour amener au pouvoir un démagogue qui leur dira qu’ils peuvent maintenir leur prospérité industrielle (ou la récupérer selon le cas). Cependant, et comme je l’ai expliqué précédemment (voir ici et ici), ce à quoi la Grèce (et en fin de compte le reste du monde) est confrontée n’est pas une crise politique, mais une crise de ressources. En d’autres termes, il n’y a aucune variante de magouilles politiques qui soit en mesure d’éviter à ceux sur le point d’être triés de revenir à leur ancien niveau de prospérité industrielle.

Dans le même temps, les partis politiques ont promis la lune pendant les périodes électorales. Syriza a été initialement élu sur une plate-forme de non renflouement [des banques, NdT] et a ensuite démontré que ce n’était que du vent. Dans le cas de Syriza, sa promesse de référendum pour gagner l’électorat grec et permettre un meilleure compromis lors du troisième sauvetage de la Grèce a été une imposture complète, probablement parce que ce parti a été menacé par la Troïka : soit vous acceptez les termes sur la table, soit on vous coupe vos lignes de crédits (comprendre : énergie), renvoyant la Grèce à une économie agraire du jour au lendemain. Ne voulant pas entrer dans l’histoire comme cela, le premier ministre, Alexis Tsipras a capitulé et accepté les conditions dictées – qui étaient encore pires que celles refusées par Tsipras quelques semaines plus tôt.

En effet, tout ce que les soi-disant politiciens progressistes (et leurs homologues) peuvent réellement obtenir n’est, à la rigueur, qu’une légère baisse de leurs taux d’intérêt et l’allongement de leur échéancier de remboursement. Ainsi, alors que le dernier Premier ministre grec, Tsipras, avait été initialement élu pour relancer l’économie infirme du pays, il a tourné casaque passant de rebelle à exécuteur du plan de sauvetage. Il vient d’être réélu avec le mandat de mettre en œuvre des hausses d’impôts et des réductions de dépenses encore plus sévères.

(photo de Alehins)
Pour continuer avec l’exemple grec, tous les partis politiques ne semblent pas être si hostiles à un Grexit, alors que les extrêmes, le Parti communiste à l’extrême-gauche et les  néo-nazis d’Aube dorée à l’extrême-droite, semblent prêts à sortir la Grèce de la zone euro. Une montée en puissance de l’un d’eux, ce qui devrait arriver, serait certainement un tournant extrêmement malheureux. Mais voyant à quel point il ne se passe rien en Grèce ni dans d’autres pays qui soit à la hauteur des enjeux, et anticipant que Syriza et les autres partis qui viendront ensuite seront incapables d’endiguer la marée de l’austérité, on espère que les frustrations des populations affamées et désespérées ne conduiront pas au pouvoir des partis xénophobes tels qu’Aube dorée.

Comment peut on éviter ces conséquences? Pour commencer, il faudrait comprendre que les crises de ressources sont à la base de la prolifération des politiques d’austérité. En supposant qu’une telle prise de conscience soit effectivement possible dans un avenir proche – ce qui est extrêmement peu probable – qu’est-ce qu’on fait? Eh bien, comme on va voir la Grèce finir par quitter la zone euro d’une manière ou d’une autre, la meilleur chose à faire serait de se préparer à un tel événement. Revenir simplement à la drachme n’est pas vraiment une option. Pourtant, comme un seul homme, les médias progressistes ont dit :
Je pense que le problème fondamental [avec la capitulation de Syriza] est le fait que Syriza ne s’est jamais exprimé sur une alternative à l’Union européenne. Les membres de Syriza ont accepté l’Union européenne comme cadre ; ils ont accepté de payer la dette dans ce cadre, et ils n’ont jamais formulé une politique indépendante. Ils ont surestimé leur capacité à négocier une solution progressiste au sein de l’Union européenne, et absolument rien suggéré d’autre.
Si les partis progressistes – en particulier ceux au pouvoir, comme Syriza – n’ont pas réussi à parler ouvertement d’une alternative à l’Union européenne (comme si les progressistes n’étaient tout simplement pas assez progressistes), c’est que cela entraînerait probablement rapidement leur pays dans un monde chaotique de souffrance, allant d’un coup d’État fomenté par les intérêts financiers pour renverser les titulaires (afin de protéger leurs prêts et la chaîne de Ponzi), à un effondrement assez rapide du pays sur les marchés boursiers et la progression exponentielle du nombre de jours de banque fermés.

Au lieu de cela, et en travaillant sur ce que j’ai mentionné plus tôt, ce dont les progressistes doivent se rendre compte, c’est que la question ne consiste pas uniquement en une souveraineté financière, mais en une souveraineté énergétique. En effet, l’argent est un intermédiaire pour l’énergie. A cause de cela, plus nous avançons dans cette voie de la réduction de l’approvisionnement en énergie, plus ce dernier devra se trouver proche de son point de récolte (récolte pas simplement comme une métaphore sympathique). L’argent n’étant qu’un intermédiaire pour l’énergie, il est logique que les monnaies suivent un mouvement parallèle.
En d’autres termes, et pour ceux qui sont conscients des facteurs sous-jacents de la situation actuelle, une action cruciale serait la mise en place de monnaies alternatives locales. Pas seulement au niveau national (comme une drachme rééditée), mais aussi aux niveaux régionaux et communautaires. Alors que les monnaies internationales et même nationales seront de moins en moins accessibles à ceux qui se trouvent en marge de la société – ce qui arrive quand le tri vous élimine des approvisionnements mondiaux et nationaux en énergie – il est vital de contourner autant que nous le pouvons ces devises en réduisant notre dépendance envers elles. C’est peut-être la meilleure option pour un nombre croissant de personnes, ainsi qu’une bonne idée pour ceux qui veulent prendre de l’avance sur ce qui va nous arriver – ou plutôt, ne plus arriver dans les tuyaux de gaz ou d’eau.

Ce que je propose alors comme une nécessité à la place d’un Grexit, c’est un Gretaway, un mouvement concerté hors des systèmes financiers internationaux (et même dans une certaine mesure nationaux). Cela implique une tentative délibérée de voler sous le radar des banques internationales en même temps que la mise en place d’amortisseurs pour le nombre croissant de personnes qui seront jetées hors du circuit des devises et donc de l’accès aux ressources de base, en supposant que ces ressources soient encore disponibles – et il n’y a aucune garantie pour cela.

Même le New York Times l’a souligné, la monnaie alternative TEM à Volos, en Grèce, était «inspirée […] par un besoin de solidarité dans les moments difficiles», une monnaie qui serait «prête à monter au créneau […] si la Grèce prend un virage pour le pire et finalement cesse d’utiliser l’euro». Cela ne veut pas dire que le TEM est simplement un plan de repli, il a déjà permis de relancer des activités locales : vétérinaires, opticiens, couturières, professeurs de musique, professeurs de langues, comptables, techniciens en informatique, coiffeurs et, bien sûr, agriculteurs. Et, pourrais-je ajouter, le tout approuvé légalement par le gouvernement fédéral de la Grèce.

« Madonna !? Honte à toi! »
Ne vous méprenez pas cependant, les monnaies alternatives ne signifient pas une continuation du business as usual (ni de la culture). Comme l’a dit un boucher qui avait beaucoup de succès avec une autre monnaie alternative en Grèce : «Une personne a voulu négocier un CD de Madonna contre un poulet. Mais j’ai dit non. Le CD de Madonna ne vaut certainement pas un poulet.»

En fin de compte, et comme Jan Lundberg (qui vit en Grèce) a récemment écrit dans sa pièce : Pourquoi l’économie monétaire en Grèce pourrait disparaître« ,
À un certain point, la monnaie peut devenir tout à fait secondaire dans une économie du partage basée sur la mise en œuvre de la résilience locale.
Pour prendre l’histoire en marche? Il n’y a pas de meilleur moment que le présent pour se mettre au travail sur nos Gretaways.

Allan Stromfeldt Christensen

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