mardi 8 mars 2016

Voilà pour la politique…


Article original de Dmitry Orlov, publié le 1 Mars 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



Au cours de la semaine dernière, après avoir publié l’extrait du manuscrit de mon prochain livre, Réduire la Technosphère, j’ai reçu un certain nombre de réponses, dont certaines m’ont quelque peu déconcerté. Certaines personnes ne pouvaient pas approcher le concept de Technosphère sans avoir une définition du dictionnaire à leur disposition. D’autres pensaient que je venais présenter une version réchauffée d’un concept qui a déjà été entièrement exposé par Jacques Ellul, Teilhard de Chardin et d’autres. Quelques autres pensaient ma tâche sans espoir parce que presque personne ne serait capable de saisir le concept.

Je pense que je peux deviner la raison de cette attitude négative. Elle a deux causes principales : l’intellectualisme et le déni.



L’intellectualisme est une sorte de trouble psychologique, dont le principal symptôme est une incapacité à combiner son intellectualisation avec le travail de ses centres émotionnel et physique. Le résultat est un être creux qui utilise de grands mots et des concepts fantaisistes pour camoufler une inconséquence profonde. Nous ne pouvons être entiers que si nous trouvons des façons de combiner le travail de nos trois centres, intellectuel, affectif et physique, de façon harmonieuse. Ignorez l’un d’eux, et ce que vous avez, c’est un être légèrement paralysé ; ignorez-en deux, et ce que vous avez, c’est un invalide.

Le déni est plus facile à expliquer. Les gens qui sont bel et bien pris au piège dans la Technosphère et ne peuvent pas imaginer la vie en dehors de celle-ci ne sont pas susceptibles d’être réceptifs à l’idée qu’elle se désagrège. Il peut être possible de les convaincre, en utilisant des arguments rationnels, que les jours de la Technosphère sont comptés, et qu’ils ont besoin de s’en faire une idée bien claire s’ils souhaitent que l’expérience humaine continue. Mais même s’ils peuvent être convaincus sur un plan purement intellectuel, sans la résilience émotionnelle ou l’endurance physique pour transformer leur personnalité et modifier radicalement leurs habitudes, tout ce qu’ils peuvent faire est de rester là, pétrifiés. Quant à savoir pourquoi c’est le cas, voir le paragraphe précédent.

Parmi les précédentes générations de penseurs, Jacques Ellul est celui qui a été le plus proche de comprendre la nature et la portée de la Technosphère comme une intelligence émergente parasite qui infeste et détruit la biosphère. Mais pour autant, dans ces recommandations pour résoudre ce problème, Ellul a quelque peu fait le mort. Il était un fervent catholique [en fait, il était protestant, NdT], et je suppose qu’il espérait que le Royaume des Cieux arriverait un jour, Technosphère ou pas Technosphère. Aussi s’est-il contenté d’écrire simplement à ce sujet en attendant le salut. Apparemment, il ne pouvait concevoir le fait que la religion monothéiste organisée soit une machine sociale par excellence, et en tant que telle, soit simplement un aspect fondamental de la Technosphère dont il faisait la critique. Quel intellectuel !

La première personne qui a cloué au pilori la Technosphère pour ce qu’elle est, a été Ted Kaczynski, alias The Unabomber, qui purge huit condamnations à perpétuité consécutives  au pénitencier Supermax à Florence dans le Colorado. Dans la plus récente mise à jour de son profil, qu’il a présenté à l’association des anciens élèves de Harvard il y a quelques années, il énumère ses huit condamnations à perpétuité comme ses réalisations, et son occupation actuelle comme prisonnier. Si vous voulez lui envoyer une carte postale pour son anniversaire (il fêtera ces 74 ans le 22 mai) son adresse est No. 04475-046, US Pénitencier-Max, P.O. 8500, Florence, CO 81226-8500.

La découverte par Ted de la Technosphère a été accidentelle. Il était un enfant prodige en mathématiques qui a été admis à Harvard à 15 ans, il y a obtenu son doctorat puis est devenu un professeur assistant à Berkeley dix ans plus tard. Alors qu’il était à Harvard, à partir de 16 ans, il a été l’objet de l’expérience de contrôle de l’esprit MKULTRA. Dans ce programme, les élèves doués qui s’étaient portés volontaires ont été placés dans une pièce et reliés à des électrodes surveillant leurs réactions physiologiques tout en faisant face à des lumières vives et à un miroir à sens unique. Ensuite, ils ont été brutalement confrontés à leurs démons intérieurs qu’ils avaient divulgués à leurs interrogateurs lors de tests de dépistage, tout en étant soumis au LSD et à d’autres drogues psychotropes.

Ceci, je crois, a été l’expérience formative qui a permis à Ted de voir la Technosphère pour ce qu’elle est. Il en a été victime par l’aspect de la Technosphère qui est de loin le plus méchant : la partie qui cherche à rendre l’homme à 100% contrôlable, comme s’il était un robot, en brisant en lui tout ce qui le rend humain. Je suis certain qu’il a eu un aperçu de ce qu’elle est : une entité destructrice unique, globale, unifiée, prenant le contrôle, en expansion, existant au-delà de la raison ou de la moralité humaine et qui doit être arrêtée peu importe le coût.

Ainsi, Ted n’est pas seulement un écrivain intellectuel: c’est quelqu’un qui a réellement passé trois jours et trois nuits dans le ventre de la bête. Il a écrit:
Comme je le vois, je ne pense pas qu’il y ait une manière contrôlée ou planifiée par laquelle nous pouvons démanteler le système industriel. Je pense que la seule façon dont nous allons nous en débarrasser est par sa décomposition et son effondrement.
La façon dont il a choisi de vivre sa vie ne fut pas le chemin de l’intellectuel qui est capable d’ignorer complètement le problème dans sa vie quotidienne tout en griffonnant timidement à ce sujet dans un coin poussiéreux. Il a quitté son poste à Berkeley, a construit sa cabane dans le Montana et s’y est installé. Il y vivait sans téléphone, électricité ou eau courante, avec très peu d’argent, et a étudié le suivi et l’identification des plantes comestibles et des compétences primitives. Il a choisi de ne pas faire partie du problème ; si tout le monde vivait comme Ted, alors il n’y aurait pas de Technosphère sur laquelle j’aurais à écrire.
Mais tout cela a changé quand un jour il a découvert que le service des forêts avait détruit un de ses endroits sauvages préférés et l’avait remplacé par une route de service. C’est alors qu’il est passé à l’étude de la fabrication de bombes. Il n’a jamais été très bon dans ce domaine, et son total de trois misérables morts et de 23 blessés témoigne de ce fait. Mais ses objectifs étaient limités à atteindre une certaine notoriété :
Afin de rendre notre message public avec quelque chance de laisser une impression durable, nous avons eu à tuer des gens.
Comme Barack Obama, qui a détruit quatre pays tout entiers (la Libye, la Syrie, le Yémen et l’Ukraine) aurait peut-être aussi pu le dire, «Nous avons dû tuer des gens.» (Son prédécesseur, Bush Jr., a seulement détruit un pays et demi, l’Irak et la moitié restante de l’Afghanistan ; je me demande si cela peut être considéré comme un progrès). Oui, Ted a outrepassé le commandement «tu ne tueras point», mais peut-être avez-vous remarqué qu’il a été changé en «tu ne tueras point, sauf sur ordonnance», il y a un certain temps déjà. Le crime de Ted n’est pas qu’il a tué des gens (beaucoup de gens obtiennent des médailles, des promotions et des pensions pour avoir commis des actes d’assassinat), mais qu’il n’a pas tué comme serviteur de la Technosphère.

La critique la plus sévère qui peut être faite à Ted est que ses méthodes étaient malsaines : il existe d’autres moyens plus efficaces d’atteindre la notoriété. Comme génie, il aurait pu écrire un best-seller. Juste comme ça en passant. Il a éprouvé un besoin pressant de détruire la Technosphère avant qu’elle ne termine la destruction de la biosphère et nous avec elle, et il ne voulait pas prendre de risques avec des méthodes qui pourraient ne pas fonctionner. Le problème pour trouver une méthode qui fonctionne n’est pas trivial. Ted a vu clairement que ce qui était nécessaire était une sorte de révolution, mais il n’a pas pu voir au delà :
Nous préconisons donc une révolution contre le système industriel. Cette révolution peut faire ou ne pas faire usage de la violence ; elle peut être soudaine ou elle peut être un processus relativement progressif couvrant quelques décennies. Nous ne pouvons pas prévoir tout cela.
Il était extrêmement clair sur un point : le changement nécessaire ne pouvait pas venir d’où que se soit du spectre politique existant. Il a été tout à fait méprisant dans sa critique de la gauche libérale qui, pensait-il, excellait dans l’extrême hypocrisie en défendant la cause des groupes perçus comme inférieurs pour opprimer toute la société à travers une sur-socialisation, la féminisation et l’imposition du politiquement correct. Ce fut surtout le travail des hommes blancs hétérosexuels, pour que rien ne puisse arriver sans leur approbation et leur soutien :
Les gardiens du politiquement correct (la plupart du temps des blancs, hétérosexuels de la classe moyenne supérieure) identifient les groupes de personnes qu’ils considèrent comme faibles ou inférieurs tout en refusant (même à eux-mêmes) de les considérer comme tels.
Parmi «les questions de gauche», Kaczynski compte «l’égalité raciale, l’égalité des sexes, aider les pauvres, la paix par opposition à la guerre, la non-violence en général, la liberté d’expression, la bonté envers les animaux». S’il vous plaît, veuillez noter que «la destruction de la Technosphère avant qu’elle ne détruise ce qui reste de la biosphère et nous avec elle», n’est nulle part sur cette liste.
Voilà pour les libéraux. En ce qui concerne les conservateurs, il les embroche avec une seule remarque:
Les conservateurs sont des imbéciles : ils pleurnichent sur le déclin des valeurs traditionnelles, mais ils soutiennent avec enthousiasme le progrès technologique et la croissance économique. Apparemment, il ne leur vient jamais à l’esprit que vous ne pouvez pas faire des changements drastiques et rapides de technologie et de l’économie au sein d’une société sans provoquer en même temps des changements rapides dans tous les autres aspects de cette société et que ces changements rapides vont briser inévitablement les valeurs traditionnelles.
Ted ne le dit pas, mais je vais le dire : les deux extrémités du spectre politique, et tous les points entre les deux, ne sont que des projections de la Technosphère. Les partis politiques sont des machines sociales et les différentes tâches politiques mécanisées appellent différents types de machines. La machine conservatrice excelle dans une brutalité directe non dissimulée, qui fonctionne très bien, mais est assez chère. La machine libérale atteint ses objectifs, tels que la domination politique, le contrôle bureaucratique, en favorisant la dépendance, la suppression du séparatisme social, ce qui rend les populations sans défense en prônant la non-violence, l’imposition renforcée de normes, la destruction des cultures locales par l’hétérogénéité culturelle forcée (pour n’en citer que quelques-uns) et elle permet d’atteindre ces objectifs grâce à l’hypocrisie et consiste en de simples mots fallacieux, méthode très bon marché. Mais au moment où l’hypocrisie cesse de fonctionner, il y a toujours le plan B, le plan conservateur : y aller avec une équipe de gros durs et exploser quelques têtes. Si vous voulez un brillant exemple contemporain de ce mécanisme à l’œuvre, ne cherchez pas plus loin que l’élection présidentielle en cours aux États-Unis : du côté libéral, nous avons la menteuse congénitale, hypocrite et escroc, Hillary Clinton, contre la réincarnation de Benito Mussolini, l’extraordinaire voyou politique [quelque part entre le colleur d’affiche musclé et le gars du service d’ordre, NdT], Donald Trump.

Voilà pour la politique… Mais qu’en est-il de la révolution ? Quelqu’un doit l’emporter, ou nous allons tous mourir. Eh bien, j’ai une idée, très simple dans son concept mais demandant beaucoup d’implication par tous. L’idée est que nous pouvons prendre la fuite avec les quelques bouts de la Technosphère dont nous avons besoin tout en laissant le reste se planter et brûler prématurément, en établissant soigneusement notre sélection de technologies. Cela n’a pas à être un mouvement organisé : quand les gens voient le système en défaut, leurs esprits cherchent naturellement des moyens pour assurer leur autonomie, leur auto-suffisance et leur liberté. Je n’ai pas l’intention de dire aux gens quelles technologies sélectionner ; je cherche seulement à leur fournir un processus solide pour procéder à leur sélection. En ce qui concerne l’apprentissage de tous les détails, vous aurez seulement à attendre que le livre soit sorti.

Post-scriptum : je ne suis pas aussi radical en répudiant la technologie comme Ted, mais je ne suis pas un pur intellectuel non plus. En fait, je n’ai pas répudié la technologie du tout ; je suis simplement devenu très prudent dans mes choix. Je possède un téléphone cellulaire, un ordinateur portable, un vélo et quelques autres bouts de la technologie soigneusement sélectionnés. Je ne suis pas non plus fan de gagner en notoriété en tuant et en mutilant ou par d’autres méthodes malsaines ; simplement taper sur un ordinateur portable fonctionne très bien pour moi. Et je ne me suis pas installé dans une cabane au fin fond du Montana ; à la place, j’ai vendu ma maison et ma voiture, quitté mon travail et je me suis mis à la voile.

Dmitry Orlov

Note du traducteur

Dmitry est toujours un poil pessimiste ou trop réaliste, c'est selon, mais le processus de terraformation est bel et bien en cours et rien ne semble l'arrêter. On vit réellement un moment de l'Histoire ou les choses peuvent se décider et personne ne sait comment elles vont tourner. Trump ou Corbyn peuvent précipiter un sursaut fatal du Système qui n'est pas bien en forme, un crash financier peut aussi dévoiler les cartes. Dans un contexte ou les élites sont totalement discréditées face à leur population, tout est possible avant que le Système ne mute pour exploiter notre colère plus efficacement.

Comme solution à la fuite, il y aussi le non-faire (merci Orwell). On va tous, tous les jours au centre-ville, en commençant de préférence au printemps, et on s’assoit par terre. Je ne donne pas longtemps pour que le pouvoir panique, privé de ses petits bras. Pour cela, il faut un peu de stock de nourriture. C'est bien pourquoi aux États-Unis, on peut dénoncer son voisin comme terroriste si on le soupçonne de stocker de la bouffe.

1 commentaire:

  1. Il y a aussi le "Ohhh . moi ... tant qu'il y a de l'essence dans les stations services, je continue de rouler!" , dont je fais partie en réalité ;o)

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