mardi 19 avril 2016

Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (III)

Article original de Andrew Korybko, publié le 8 Avril 2016 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine



Andrew continue son petit tour d’Asie centrale et balaye la situation des pays proches de l’Afghanistan, dont la déstabilisation par l’armée US après le 9/11 n’a pas fini de provoquer des remous dans cette région des Balkans Eurasiens.



Turkménistan

La menace qui pèse sur le Turkménistan est moins celle d’une révolution de couleur que celle d’une guerre non conventionnelle. Le catalyseur de ce conflit serait une invasion terroriste en provenance d’Afghanistan qui progresserait de façon inattendue vers le nord, le long de la rivière Murghab. Une telle offensive n’a même pas à atteindre la capitale nationale pour être couronnée de succès, car tout ce qu’elle a vraiment besoin de faire est de prendre la ville de Mary, la capitale d’une région riche en ressources. Cette partie du pays contient la part du lion de la réserve de gaz du Turkménistan, qui comprend le massif champ de Dauletabad, en fonctionnement depuis des décennies, et du champ Galkynysh nouvellement découvert, ce dernier étant la deuxième plus grande réserve de gaz récemment découverte.

Il ne serait pas non plus si difficile pour les terroristes de prendre en charge ce morceau de terre, puisque la rivière Murghab est parsemée de petits villages le long de ses rives, qui pourraient fournir une couverture en cas de frappes aériennes, et de sites en surplomb à partir desquels provoquer des batailles rangées. Les terres fertiles à proximité sont dotées d’un potentiel agricole qui pourrait sûrement être stocké quelque part tout près et facilement accessible, ce qui pourrait aider à nourrir les forces d’occupation jusqu’à ce que de plus grandes conquêtes soient faites. En bref, la rivière Murghab est l’itinéraire le plus facile sur le plan militaire et logistique pour une invasion par EI du Turkménistan, et il conduit directement au cœur gazier de l’Eurasie qui est connecté de manière critique à la Chine et sera peut-être aussi lié à l’Inde dans la décennie à venir.

Le risque que des terroristes prennent le contrôle de la plus grande source d’importations de gaz de la Chine et peut-être même détruisent les installations, est trop fort pour que les stratèges multipolaires à Pékin et Moscou le supportent, et il est assuré qu’ils sont déjà engagés dans une sorte de planification d’urgence officieuse avec leurs homologues à Achgabat. Une intervention chinoise anti-terroriste est largement exclue en raison des distances géographiques et d’un manque de soutien et de logistique en cours de route, mais l’armée russe n’a pas ces obstacles et serait beaucoup plus susceptible d’aider les autorités turkmènes, si elles étaient appelées à le faire. Ceci est bien sûr un dernier recours et ne serait décidé que si le Turkménistan se trouvait incapable d’endiguer la vague terroriste pour défendre son infrastructure de gaz, mais un tel événement est assurément prévu, juste au cas où la frontière turkmèno-afghane se révélerait trop fragile pour être défendue contre les terroristes comme ceux en Syrie et en Irak.

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Kazakhstan

Le Kazakhstan et les trois autres états restants de l’Asie centrale ex-soviétique, sont grandement exposés au risque d’un printemps d’Asie centrale se déclenchant dans la vallée de Fergana, et la partie IV de la série sur le Grand Heartland se concentrera exclusivement sur ce scénario toujours possible. Par conséquent, le reste de cette section explorera les autres vulnérabilités de guerre hybride face à ces quatre pays.

Le plus grand État, géographiquement parlant, dans la région du Grand Heartland, est étonnamment à l’abri de la plupart des facteurs classiques socio-politiques qui conduisent à des guerres hybrides (à l’exclusion des variables qui seront ensuite discutés au sujet du printemps d’Asie centrale). Si l’on était aveugle aux contextes nationaux et internationaux pertinents au Kazakhstan, alors on serait enclin à croire que la population russe constitue la plus grande menace à la souveraineté du pays, bien que cela ne puisse être plus éloigné de la vérité. Théoriquement parlant, la démographie satisfait à tous les critères nécessaires pour susciter une guerre hybride, mais l’alignement multipolaire du Kazakhstan avec l’Union eurasienne et un traitement respectueux de ce groupe minoritaire russe influent, exclut toute chance qu’eux ou la Russie essaient jamais de s’aventurer dans ce scénario. D’un autre côté, l’inclusion même d’une telle minorité russe si importante au sein du Kazakhstan, attache Astana et Moscou avec des liens plus forts que presque tout autre État de l’ex-Union soviétique, et cela incline à améliorer, pas à détériorer, les relations entre eux.

La seule vulnérabilité dans cette configuration relativement sûre, est que si les États-Unis et ses mandataires affiliés sous formes d’ONG parviennent à un lavage de cerveau de la population russo-kazakh autour d’un nationalisme extrême de type Pravy Sektor ou dirigé par des Navalny, cela pourrait alors créer une situation géopolitique délicate, où des braillards agiteraient des minorités russes contre Astana avec des tentatives d’enfoncer un coin entre le Kazakhstan et la Russie. Les agents de la sécurité dans les deux États sont susceptibles d’être bien informés de ce scénario trop évident, et on peut prédire qu’ils ont répété des mesures d’urgence coordonnées pour y répondre. Néanmoins, si une telle idéologie virulente, discriminatoire et destructrice comme le grand nationalisme russe était autorisée à pourrir un Kazakhstan multiculturel et certaines parties de la Fédération de Russie elle-même, alors une épidémie de scandales dans la région pourrait provoquer un événement simultané transfrontalier à l’intérieur de la Russie, surtout si des cellules dormantes de sympathisants organisaient des manifestations anti-gouvernementales contre la trahison de Moscou envers des compatriotes, par son refus de reproduire le scénario de Crimée dans le nord du Kazakhstan.

Debris is scattered in front of the headquarters of the OzenMunayGaz energy company in Zhanaozen, Dec 2011.
Débris dispersés devant le siège de la société d’énergie OzenMunayGaz à Zhanaozen, décembre 2011.
Une autre possibilité de déstabilisation qui ne doit pas être écartée au Kazakhstan, est une répétition des émeutes de Zhanaozen, la très localisée tentative de Révolution de Couleur qui a été déclenchée par un conflit initié autour de revendications sociales en 2011. Les travailleurs sur le champ pétrolier ont été nourris par des plaintes concernant de mauvaises conditions de travail, des bas salaires et des salaires impayés, et cela a créé une atmosphère attrayante pour une révolution de couleur à exploiter.

Conformément à la tradition de la révolution de couleur, les émeutes ont commencé le 16 décembre, le jour du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan, et devaient vraisemblablement signaler le début d’une tentative de changement de régime à d’autres cellules à travers le pays, presque un an jour pour jour après que la révolution de couleur du printemps arabe avait éclaté en Tunisie.

En faisant bouillir cette colère préexistante, les travailleurs étaient extraordinairement faciles à exploiter, et ils ont commis un carnage en tuant plus d’une douzaine de personnes et en en blessant plus de 100 autres avant la déclaration de l’état d’urgence et qu’une intervention militaire ne soit nécessaire pour rétablir l’ordre. La réaction décisive des autorités et l’identité patriotique et multiculturelle de la plupart des Kazakhs, ont empêché la propagation du virus de la révolution de couleur depuis la lointaine frontière turkmène, tout le long du chemin jusqu’à la capitale située au centre du pays. Mais les leçons stratégiques qui peuvent être tirées de cet épisode sont les suivantes: les conflits d’entreprise et les organisations syndicales pourraient être à la fois une couverture et l’étincelle pour une révolution de couleur; et les déstabilisations pourraient commencer en dehors des grandes villes et avoir pour origine des provinces éloignées.

Kirghizistan

Cette petite république montagneuse est notamment divisée le long d’une fracture abrupte Nord-Sud, avec la capitale, Bichkek, qui est située le long des plaines du Nord, tandis que les grands centres de population, Jalal-abad et Osh,  sont dans la vallée de Fergana plus au sud. La nature clanique de la société kirghize a joué un rôle important dans l’influence du système politique, ce qui a eu comme conséquence de créer du ressentiment concernant les identités selon les groupes et selon que leur sous-représentation est disproportionnée à un moment donné. Bien que la situation soit relativement stabilisée et devienne un peu plus équitable depuis la révolution de couleur de 2010, les tensions basées sur les clans et leurs affiliations géographiques sont encore profondément ancrées dans la psyché nationale et toute la sérénité visible est démentie tout simplement par les tensions aggravantes qui se trouvent juste sous la surface. Comme confirmation de cette évaluation, il suffit de se rappeler la stabilité trompeuse dont beaucoup avaient mal évalué la présence dans le pays, juste avant les révolutions de couleur de 2005 et 2010. Après avoir été témoins de la féroce violence ethnique basée sur les clans qui a explosé après chacune d’entre elles, il est improbable de supposer que les éléments d’embrasement de ces conflits d’identité, pris un par un, ont tout simplement disparu de leur propre chef après seulement une demi-décennie.

Ce qui s’est vraiment passé est qu’ils sont rentrés dans la clandestinité comme d’habitude et ont disparu du discours national, tout en restant psychologiquement mobilisés et prêts à agir au moment où une future déstabilisation occuperait ou dissoudrait les forces de sécurité et fournirait une autre ouverture stratégique pour régler les vendettas non résolues qui persistent encore depuis la dernière fois. La zone la plus sujette à ces violences au Kirghizistan, est sa région de Fergana au sud, qui vient buter contre l’Ouzbékistan, et il y a ici des éléments islamiques radicaux qui ont pris racine. La difficulté pour les éradiquer de force est que toute opération de sécurité kirghize majeure, si près de la frontière ouzbèke, et sans parler du fait qu’elle pourrait cibler potentiellement des Ouzbeks, pourrait créer une très forte impression d’hostilité en Ouzbékistan, qui pourrait à son tour utiliser les événements comme prétexte pour activer un plan préétabli afin de mobiliser ses forces en réponse aux violations des droits de l’homme prétendument commises contre ses compatriotes ethniques. La loyauté géopolitique de Tachkent a toujours été nébuleuse et mal définie, et le pays a été travaillé plus étroitement par les États-Unis depuis le retrait d’Afghanistan en 2014. Washington a besoin d’un chef de file partenaire qui agit dans l’ombre en Asie centrale. Il est possible que l’Ouzbékistan ait été désigné pour ce rôle et que s’il ne s’y conforme pas, cela pourrait conduire à un scénario de printemps en Asie centrale qui sera bientôt discuté.

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Pour revenir aux menaces de guerre hybride auxquelles doit faire face le Kirghizistan, il est important de souligner que le relief montagneux du pays est très accommodant pour une guérilla. Les parties sud de la montagne sont peu peuplées, et le gouvernement n’a guère de présence dans certaines des zones les plus isolées. En regardant la géographie régionale en jeu, il est concevable que les terroristes basés dans la vallée de la Fergana puissent recevoir des armes et des combattants de l’Afghanistan, en tirant parti de l’absence de présence gouvernementale dans le sud du Kirghizistan et du Haut-Badakhchan du Tadjikistan. Après tout, cet itinéraire est déjà utilisé pour faire passer des tonnes de médicaments, il est certainement possible qu’il puisse l’être pour transporter des terroristes et des armes (si ce n’est pas déjà fait). Il est très difficile pour les autorités kirghizes d’exercer un contrôle total sur cette région, en raison de ressources financières et humaines serrées, un ordre de priorité pour s’occuper des zones les plus peuplées et une géographie inhibitrice en surplus.

Pour souligner ce dernier point, l’hiver rend généralement la totalité des quelques routes nord-sud infranchissables et bloque les citoyens basés au sud de la montagne dans leurs villages pour la durée de la saison. Cela divise effectivement le pays en deux, et si une guerre hybride coïncidait avec cette saison, elle pourrait alors donner aux insurgés cherchant un changement de régime actif dans cette région, suffisamment de temps pour consolider leurs gains et se préparer aux hostilités qui inévitablement recommenceraient après la fonte des neiges au printemps.

Quand on pense à un califat mené par des terroristes, la dernière chose qui vient probablement à l’esprit est une retraite montagneuse couverte de neige, mais c’est exactement ce qu’EI ou tout groupe avec la même logique pourrait créer selon un scénario réaliste dans le sud du Kirghizistan, s’ils jouaient adroitement leurs cartes. Il serait extrêmement difficile de déloger les terroristes dans un tel scénario, et le danger à le faire serait décuplé s’il apparaissait qu’ils ont accès à des armes anti-aériennes. L’armée kirghize serait évidemment inadaptée pour une telle tâche difficile et devrait  avoir recours à ses partenaires russes dans l’OTSC pour une assistance, avec une aide prévisible de Moscou grâce à une combinaison de surveillance par des drones et des frappes aériennes, tout comme c’est le cas en Syrie en ce moment.

Tadjikistan

La menace qui pèse sur le Tadjikistan est structurellement similaire à celle au Kirghizistan, avec cette large bande géographique montagneuse du pays, qui pourrait être exploitée par des groupes terroristes pour faciliter des itinéraires de contrebande ou fournir un abri dans des grottes. Il va sans dire que la frontière du Tadjikistan avec l’Afghanistan est peut-être sa plus grande vulnérabilité, mais un peu de répit pourrait être trouvé dans le fait qu’il y a plus de Tadjiks ethniques en Afghanistan que dans le Tadjikistan, et que si cette communauté était correctement mobilisée dans toute son étendue, elle pourrait fournir un rempart efficace contre les talibans et d’autres groupes terroristes. À l’heure actuelle, cependant, cela ne semble pas être le cas, puisque les talibans ont été en mesure de saisir brièvement la capitale de la province septentrionale de Kunduz à la fin de septembre et de réaliser ainsi leur plus grand succès militaire depuis 2001.

Tajik border guards
Garde-frontières tadjiks
Jusqu’à maintenant, il a été largement admis que cette partie de l’Afghanistan était la moins accueillante pour les talibans, en raison de la vaillante histoire de l’Alliance du Nord et de la communauté tadjike relativement laïque qui habite la région. Ce que la prise de Kunduz a enseigné aux observateurs, est que ces deux facteurs ne sont plus les déterminants de la sécurité régionale, et que les talibans ont réussi, dans cette dernière décennie et demie de prosélytisme de leur idéologie, à gagner des sympathisants et infiltrer suffisamment de combattants dans la zone, de manière à mettre en place une base efficace d’opérations. Les convertis qu’ils ont déclarés, les supporters qu’ils ont acquis et les terroristes qu’ils ont déplacés dans le nord de l’Afghanistan, ont tous joué un rôle essentiel dans la capture de Kunduz par des talibans, et ce n’est pas parce qu’ils ont seulement opéré un retrait conventionnel de la ville que cela signifie que leur soft power a disparu avec eux. La raison pour laquelle c’est pertinent pour le Tadjikistan, est que cela prouve que les talibans ont une forte présence tout le long de la rivière frontière Amou-Daria et que les craintes au sujet de leur potentiel militant transfrontalier ne sont pas infondées.

Plus localement, cependant, la plus grande menace vient du Parti de la renaissance islamique, l’organisation nouvellement interdite qui représentait le dernier parti légal de l’islam politique dans la région. Le processus était à l’œuvre depuis un certain temps, mais finalement il a été décidé que le groupe était plein de terroristes et avait besoin d’être arrêté le plus tôt possible. La décision a été stimulée par la tentative de coup d’État de l’ancien ministre adjoint de la Défense Abdukhalim Nazarzoda plus tôt ce mois ci. Lui et un groupe de disciples ont abattu plus de 30 soldats dans la capitale Douchanbé, avant de fuir dans les montagnes où ils ont finalement été pourchassés et tués une semaine plus tard. L’enquête subséquente a révélé que le chef adjoint du Parti de la renaissance islamique, Mahmadali Hayit, avait frayé avec les comploteurs plus tôt dans l’année et que les 13 membres du parti ont été soupçonné d’être impliqués dans les attaques. Il est donc d’une logique absolue que l’organisation soit interdite peu après dans l’intérêt de la sécurité nationale. Dans le même temps, cependant, la proclamation est venue si brusquement que les autorités n’ont pas disposé d’assez de temps pour étouffer complètement l’organisation et les innombrables sympathisants et cellules dormantes probables, dont on peut supposer qu’elles sont intégrées dans la société.  Qu’ils fassent leur transition vers l’action militante au nom de l’organisation terroriste, ou se repentent de leur allégeance précédente et renient cette idéologie, cela reste à voir, mais la menace d’actions reste néanmoins réelle et c’est évidemment un facteur de déstabilisation qui pourrait être mis à profit dans toute guerre hybride à venir contre le Tadjikistan.

Ouzbékistan

Mis à part le scénario du printemps d’Asie centrale qui sera détaillé dans la partie IV, il y a encore pas mal d’autres menaces de guerre hybrides auxquelles le plus grand pays de la région fait face. L’Ouzbékistan est d’abord et avant tout menacé par un effondrement complet de l’ordre public, résultant d’une crise sécessionniste après le passage d’Islam Karimov. L’auteur a précédemment exploré les contours de ces possibilités de refroidissement dans son article La cocotte-minute de déstabilisation de l’Ouzbékistan, mais pour résumer de façon concise, la nature clanique de la société ouzbèke, couplée à la concurrence entre le Service National de sécurité et le ministère de l’Intérieur, a créé un scénario cataclysmique où un trou noir de désordre peut naître au cœur de l’Asie centrale et rapidement se répandre dans tout le reste de la région.

La seule chose qui pourrait éviter à cette société, précédemment tenue ensemble, de partir dans un mouvement de décentralisation considérable à la somalienne avec ses seigneurs de la guerre, serait la reconsolidation rapide de la puissance de l’une des deux agences de sécurité concurrentes. Mais de même que leur rivalité pourrait de manière prévisible s’intensifier dans les jours qui suivraient la mort de Karimov (avec comme résultante, la rupture des aspects sécuritaires que cela entraînerait si elles devaient se concentrer plus l’une contre l’autre que sur leurs objectifs désignés), on ne peut pas exclure que l’Ouzbékistan puisse se désintégrer avant même que quiconque ne se rende compte que c’est arrivé. Bien sûr, si Karimov désigne publiquement un successeur avant sa mort ou se retire et permet à son dauphin de gouverner, cela pourrait apaiser les risques inhérents à ce scénario, mais il ne semble pas trop probable que cela se produise, ni que ces étapes empêchent l’agence rivale de tenter une grand jeu de puissance au moment où le grand patron mourra, inévitablement.

Parallèlement à ce tumulte possible, on pourrait voir une explosion du terrorisme du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, Hizb ut Tahrir, d’EI, des talibans, ou d’une autre organisation qui reste encore à être nommée, et / ou une combinaison de ces groupes, ce qui aggraverait la situation de sécurité déjà détériorée dans le pays et diviserait encore plus l’attention des services de sécurité. Il y a aussi la probabilité que les talibans ou EI puissent même faire un mouvement militaire conventionnel sur l’Ouzbékistan, au milieu de la plus grande rupture de l’ordre régional, qui, dans ce cas, ouvrirait la voie à une crise mondiale semblable à celle qui est apparue lorsque EI a franchi la frontière et a commencé la conquête de l’Irak [EI est parti d’Irak, pas de Syrie, NdT].

Par conséquent, fidèle à la théorie de la guerre hybride, tout type de perturbation sociale dans la société ouzbèke étroitement contrôlée, que ce soit par une révolution de couleur, une crise de succession ou une combinaison de facteurs, créerait une occasion alléchante pour les guerriers non conventionnels de se soulever contre l’état et augmenter les chances d’un changement de régime. Dans ce cas, s’il n’y a pas de véritable gouvernement au pouvoir à ce moment, alors cela prolongerait le vide de régime et amplifierait le désordre du pays jusqu’à ce qu’il atteigne le point critique de se propager à ses voisins. Par conséquent, dans un scénario tel que décrit précédemment, il est important pour un leader ou une entité leader (par exemple une junte militaire), de prendre le pouvoir dès que possible afin d’anticiper une rupture régionale. Avec le recul, ce fut précisément cette émergence rapide de leadership, même faible et fragmenté, qui a émergé au Kirghizstan après la révolution de couleur de 2010 et qui a contribué à contenir miraculeusement le chaos et à l’empêcher de se transformer en un printemps d’Asie centrale.

Avant d’aborder ce concept curieux auquel j’ai fait allusion à plusieurs reprises déjà, il est nécessaire de parler brièvement d’un facteur socio-politique mineur en Ouzbékistan, qui ne devrait pas être négligé lors de l’examen des troubles à venir. La république autonome du Karakalpakstan est une entité administrative peu connue de l’ancienne Union soviétique, qui se trouve assise sur de riches réserves de pétrole et de gaz et fournit le passage à deux pipelines vers la Russie. La majeure partie asséchée de la mer d’Aral a doté la région d’encore plus de pétrole et de gaz que ce qui était auparavant accessible, ce qui signifie que le Karakalpakstan deviendra probablement plus important que jamais pour l’État Ouzbek.

Pourtant, son potentiel énergétique n’est pas la raison exacte pour laquelle la république autonome est mise en avant lors de l’examen des scénarios de guerre hybrides, car dernièrement, on a entendu des chuchotements d’un mouvement d’indépendance du Karakalpakstan qui veut, de manière provocante, se joindre à la Russie. Selon toute probabilité, ce n’est pas un véritable mouvement, mais plutôt un front proxy contrôlé par les États-Unis pour faire avancer l’objectif de détendre les liens déjà effilochés entre la Russie et l’Ouzbékistan. L’apparition d’une organisation séparatiste pro-russe à la croisée de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan et du Turkménistan, n’est pas accessoire, et est conçue pour déstabiliser toute la région si jamais l’occasion se présentait. En soi, le mouvement d’indépendance du Karakalpakstan est impuissant à faire quoi que ce soit pour perturber l’équilibre de l’Asie centrale, mais dans le cas où la partie la plus peuplée à l’est du pays se mettrait à chahuter suivant un ou plusieurs des scénarios mentionnés ci-dessus, alors il est probable que ce groupe sortirait de l’ombre (ou plus probablement, serait parachuté ou infiltré sur le théâtre des opérations) pour mettre violemment sur la table sa demande sécessionniste afin qu’il puisse ensuite être transformé en un protectorat américain.

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Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici

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