mercredi 4 mai 2016

150 liens forts : une voie vers un avenir différent – Partie 3

Article original de Dmitry Orlov, publié le 26 Avril 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


150-STRONG 
 
«Plus il y a de lois et de commandements,
Plus il y aura de voleurs et de brigands.» Lao Tzu

Les fuites d’information des Panama Papers sur l’utilisation des paradis fiscaux appuient certainement cette déclaration ! Sous le couvert de la loi, des voleurs et des brigands ont maintenu leurs privilèges et leur ultra-richesse en étant rusés. Beaucoup d’entre eux sont des leaders – politiciens, rois et dirigeants d’entreprises. «Je n’ai rien fait d’illégal», disent-ils, alors que leurs âmes disparaissent dans le brouillard. Et à partir du germe de leur exemple, un cancer se développe.
Les règles fonctionnent mieux quand elles sont réduites au minimum.


Ceci, je l’ai vu illustré dans le contexte de l’entreprise où je suis impliqué. Nous sommes une entreprise de construction employant environ cent cinquante personnes, un mélange de tous les horizons de la vie – de vieux amis, des parents de travailleurs qui ont besoin d’un emploi, des recrues qualifiées qui rentrent dans le moule, des jeunes en difficulté recommandés par les tribunaux comme dignes d’une seconde chance, des gueules cassées et des personnages colorés qui sont tombés les uns sur les autres. Certains sont très qualifiés et d’autres en développement.

Nous fonctionnons avec très peu de règles. La règle principale est que vous devez être responsable de vos actions envers vos pairs. Grâce à nos systèmes de reporting, aucune information ne reste cachée pendant longtemps, et personne n’a le droit de se cacher derrière la manipulation des mots, la duplicité ou attribuer le blâme à d’autres. Il n’y a guère besoin de règles quand le regret et la honte s’en prennent aux coquins.

C’est un système qui exige que les participants aient une relation personnelle avec les autres, où ils se connaissent suffisamment bien pour faire attention et comprendre, au-delà d’un niveau superficiel, ce qui se passe. La modération et la maturité sont nécessaires, parce qu’exposer ses faiblesses à autrui peut être exploité comme une occasion pour la persécution, le blâme et les chicaneries. Nous avons vu que si les gens dans des postes supérieurs montrent l’exemple, plutôt que de se défausser de leurs responsabilités, un esprit d’équipe se développe, caractérisé par la collégialité et la camaraderie. Et quand les obligations sont établies par l’expérience et l’engagement commun pour se soutenir les uns les autres, il se développe une force réelle, bien au-delà de ce qui peut être forgé grâce à un système impersonnel et inflexible de règles.

Mais s’organiser de cette façon nécessite de nager à contre-courant. Nous opérons dans une société fondée sur des règles. Dans ce système qui s’étend toujours et encore, le discernement est remplacé par la conformité, et c’est comme être englouti par un marécage.

Le règlement et la législation sont des outils contondants. Prenez le Royaume-Uni, où il existe 21 000 règles de régulation, tandis que la ville de Londres est mangée par la corruption. Un exemple qui montre comment la morale et l’application de la loi divergent souvent.

Joseph Tainter, auteur de L’effondrement des sociétés complexes, a rapporté que la quasi-totalité des deux douzaines de civilisations effondrées qu’il a examinées, ont succombé à partir des rendements décroissants autour de la gestion de la complexité. Et il n’y a rien de plus complexe que le système juridique !

* * *

Dans l’extrait de cette semaine du livre les 150 liens forts, nous allons examiner le fonctionnement de la loi comme compagnon du système motivé par le profit :

La loi comme une contrepartie à la motivation par le profit

Dans un système régi par l’appât du gain, où les arènes des marchés rivalisent les unes contre les autres dans une concurrence féroce, la loi agit pour fournir un contexte de modération. Dans un environnement où il y a beaucoup en jeu, et les enjeux de la victoire sont grands, il est nécessaire que des règles soient en place pour maintenir des normes de base et pour empêcher le capitalisme de dégénérer en gangstérisme, ou pire.

Par exemple, l’esclavage a été rendu légal dans de nombreuses parties du monde, mais il est maintenant interdit par une convention internationale contraignante – au moins dans ses formes les plus manifestes et flagrantes. A l’extrémité opposée du spectre, en Angleterre, c’était une pratique courante pour les boulangers d’ajouter des choses telles que des os broyés, de l’argile et de la craie au pain, pour réduire les coûts et augmenter les profits, mais maintenant cela aussi est illégal
.
Pour une entreprise, le respect des lois est généralement considéré comme un coût, en particulier en ce qui concerne la réglementation environnementale et les lois du travail. Et comme minimiser les coûts pour maximiser les profits fait partie de l’impératif idéologique de Friedman, les entreprises ont tendance à se déplacer vers des endroits où les lois sont moins restrictives. Tant que la propriété et le droit des contrats sont respectés, moins de lois signifient généralement de plus grands profits. […]

La loi est un instrument contondant

La loi est basée sur l’interprétation de règles qui sont écrites de manière à être aussi générales que possible, mais qui sont ensuite appliquées dans des circonstances très spécifiques. Cette faille conceptuelle signifie que les lois manquent intrinsèquement de sensibilité et de nuance contextuelle, et les inévitables nuances de gris présentes dans toute situation du monde réel, doivent être résolues par des avocats qui argumentent sans fin sur la signification des mots, en prenant beaucoup de temps et à des coûts extravagants. Dans le processus, ils ont tendance à diviser les gens entre gagnants et perdants, ce qui donne lieu à des sentiments de perte, d’aggravation et de ressentiment.

La loi est basée sur l’interprétation précise de mots, la rendant vulnérable à l’exploitation par des gens intelligents qui trouvent des échappatoires allant à l’encontre de l’intention de la loi. Cela crée une culture d’insincérité, dans laquelle différentes parties adoptent des positions de justice qui ne sont pas adossées à un sens de la moralité, et utilisent un langage tortueux pour déguiser leur poursuite de l’intérêt personnel.

Le processus même par lequel les lois sont formulées les oblige à être complexes, car le processus de leur développement nécessite de nombreuses situations différentes à prendre en considération, et que de nombreux contextes différents s’y appliquent. Mais peu importent la complexité et la nuance d’une loi, la plupart des situations dans lesquelles elle s’applique ne permettent pas d’intrication ou de nuance. Elles impliquent généralement des personnes ou des sociétés avec des quantités limitées d’expérience, de compétences et de ressources. Ainsi, peu importe la perfection de la conception d’une loi, elle devient inévitablement un instrument contondant dans son application.

La loi maintient les privilèges

Un autre lacune importante de la loi, est qu’elle est biaisée en faveur de ceux qui ont de l’argent. Le coût pour engager des avocats afin de régler un différend devant les tribunaux est important, et ceux qui ont les plus gros budgets – compagnies d’assurance et autres grandes entreprises – ont une bien plus grande capacité à l’emporter dans les litiges que les citoyens ordinaires. Il y a souvent un décalage total entre les parties en désaccord. Une action en justice est un petit risque pour les sociétés, avec leurs armées d’avocats et avec les millions ou les milliards de dollars dans leurs coffres de guerre. Pour les combattre, les citoyens privés peuvent avoir à risquer l’épargne de leur vie et mettre en jeu une partie importante de leur existence.

En outre, la loi offre de nombreux avantages aux gens riches et puissants qui cherchent à protéger leurs intérêts. C’est un moyen puissant pour permettre de nombreuses stratégies qui prévalent à travers l’obscurcissement, la fourberie et l’insincérité, dans la poursuite de l’intérêt personnel. Ceux-ci comprennent l’utilisation des petits caractères compliqués pour se soustraire à leur responsabilité morale, pour structurer l’une ou l’autre de leurs affaires afin d’éviter l’imposition, pour éviter leur responsabilité personnelle en établissant des véhicules juridiques à responsabilité limitée et, comme nous venons d’en parler, par l’intimidation de ceux qui  sont plus pauvres et donc plus faibles, en les menaçant de poursuites.

Enfin, la loi autorise une corruption systémique légale. Ceux avec de l’argent et des connexions, peuvent généralement trouver un moyen d’exercer une influence indue sur les législateurs – grâce à des dons politiques, du lobbying et des moyens plus corrupteurs – afin d’avoir des lois en vigueur favorisant leurs intérêts privés au détriment du public.

La loi étouffe la responsabilité personnelle

Enfin, et paradoxalement, la loi tend également à étouffer la responsabilité et l’initiative personnelle, en imposant le lourd fardeau de la conformité… Au lieu de nourrir l’autonomie et de favoriser le développement d’un bon jugement, bon nombre de ces règlements visent à protéger les gens contre eux-mêmes. Les enfants – même les adolescents – ne peuvent plus jouer sans surveillance.

L’obéissance aveugle à des règles et la génération mécanique de paperasse de conformité pour la santé et la sécurité, sont devenues plus importantes que la sécurité en elle-même. Par exemple, une école à Bristol au Royaume-Uni a récemment interdit à une petite fille aveugle de 7 ans d’utiliser sa canne, parce que cela constituait un danger potentiel. Des exemples de ce manque de bon sens absurde abondent dans la culture zélée du respect qui envahit le monde occidental. Tout cela conduit à une population de plus en plus affaiblie, ne pouvant vivre que dans une cellule capitonnée et climatisée, sous l’œil vigilant d’assistantes maternelles accréditées et certifiées. La cause profonde de cette folie est le recours à la loi comme force de réconciliation, alors que ce qui est vraiment nécessaire, c’est la sagesse et l’intelligence. […]

La loi est un pauvre rempart face aux maux des motifs du profit

La réglementation est souvent mise en avant comme un moyen de compenser les nombreux maux créés par l’appât du gain. Mais cela revient à une tentative d’utiliser deux maux pour faire du juste, parce que, tout comme le motif du profit lui-même, la loi est également ancrée dans la négativité. C’est une façon de mettre les parties impliquées en conflit. Comme indiqué ci-dessus, cela favorise l’insincérité, déguise la poursuite de l’intérêt personnel, amplifie les effets de privilège, et c’est lent, lourd, coûteux, imprécis et imprévisible dans son application, et vulnérable à son exploitation et son détournement par les moins scrupuleux.

Cela ne veut pas dire que l’anarchie devrait être encouragée ou promue. Mais au niveau granulaire où les maux des sociétés nés de la motivation du profit doivent être opposés, l’utilité de la loi est très limitée, et son recours est lourd de conséquences imprévues.

Quelque chose au-delà des lois et des règlements est nécessaire, si on veut une réelle régénération.

Dmitry Orlov

Note du traducteur

Chez les Celtes, les druides incarnaient la sagesse. Ils n'avaient qu'une action de conseil et une seule arme, l'ostracisation. Autant dire une condamnation à mort et, comme les gens le savaient, les conseils devaient être suivis. Pour revenir à une justice plus humaine, il faut donc déconstruire la complexité artificielle pour que la loi naturelle puisse s'appliquer de nouveau et que chacun puisse comprendre et apprécier la
justice.

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