lundi 2 mai 2016

Le système industriel mondial est comme les bactéries dans une boîte de Pétri

Article original de Jacopo Simonetta, publié le 21 Avril 2016 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



Dans un post précédent, j’ai spéculé qu’un système thermodynamique, comme notre économie industrielle, est complètement dépendant de son «environnement». Comme il se développe et intègre ce «dehors», il est obligé de stocker une entropie élevée à l’intérieur de lui-même. La diffusion de l’épidémie d’émeutes dans le cœur même du système mondial, est peut-être un indicateur de cette situation. Ici, je vais essayer de parler d’un autre aspect du même sujet: le fait qu’apparemment, nous sommes incapables de faire quoi que ce soit pour éviter l’effondrement global, en dépit de notre profonde connaissance des lois naturelles et nos moyens techniques incroyablement puissants.


Quarante ans après la publication des Limites à la croissance, nous découvrons que nous n’avons fait que suivre la trajectoire du scénario de base du livre, business as usual [BAU, NdT],  et avec un degré de précision inquiétant. En fait, dans les intentions des auteurs, le scénario BAU n’était pas une prévision, mais seulement un scénario parmi d’autres, utile pour analyser la façon dont le système fonctionne et les changements. Mais le monde réel lui-même a transformé ce scénario parmi d’autres en une prophétie authentique (source de l’image)



Comment cela a-t-il été possible?

Il se pourrait que nous n’ayons rien fait pour changer notre politique et notre l’économie, mais c’est difficile à croire. Au cours des 40 dernières années, nous avons vu un certain nombre de changements majeurs et tous étaient totalement imprévisibles au début des années 1970. Par exemple, l’effondrement partiel de l’Union soviétique, la montée de la Chine comme deuxième puissance planétaire, la mondialisation et la financiarisation de l’économie, Internet, l’euro et ainsi de suite. Les Meadows et leur équipe ne pouvaient pas avoir intégré tout cela dans leur modèle, tout simplement parce qu’ils ne pouvaient pas imaginer quelque chose comme ça. Nous sommes donc obligés de penser que de tels événements, caractéristiques de notre époque, n’ont été que des accidents marginaux dans l’évolution du système socio-économique mondial.

Pour parvenir à une meilleure compréhension de cette question, je pense qu’il est préférable de commencer par examiner World3 lui-même. Dans un article, il y a quelques années, Ugo Bardi a montré que, derrière sa complexité, World3 a une architecture thermodynamique très basique. C’est un système qui accumule et stocke des informations, avec une rétroaction positive sur le flux interne. Plus le système est grand, plus il est capable d’extraire une faible entropie des puits et de jeter l’entropie dans les sources.

En d’autres termes, le scénario BAU décrit plus ou moins l’activité des bactéries à l’intérieur d’une boîte de Pétri. Tout d’abord, elles commencent à exploiter les meilleures ressources (par exemple le sucre), ce qui leur permet de se développer. Comme elles croissent, elles ont besoin de plus de ressources et elles commencent à digérer tout ce qui se présente et, en même temps, elles évoluent aussi vite que possible afin d’exploiter avec efficacité des ressources de plus en plus rares et pauvres. Cela jusqu’à ce que, à la fin, elles aient tout digéré et meurent.

Maintenant, la question est : comment est-il possible qu’avec toute notre intelligence, la science et la technologie, nous agissions comme de la moisissure dans une boîte de Pétri? Et que dire de notre liberté de choix ?

En ce qui concerne la première question, je suggère qu’en 1970, au niveau mondial, le système socio-économique avait déjà dépassé la capacité de charge de la Terre. Mon idée est qu’un système peut avoir un certain degré de liberté, qui diminue de façon exponentielle quand il atteint ses limites. Cela signifie que, loin des limites, les systèmes peuvent changer leur trajectoire et que plus on est loin des limites, plus grands sont les choix possibles. Mais lorsque les impacts du système atteignent des limites, les changements physiques simples et brutaux deviennent la seule évolution possible et rien ne peut changer cela.

Par exemple, un garçon peut choisir son travail. Bien sûr, il y a toujours des limites sévères en fonction de sa situation géographique, de sa situation économique et sociale, de sa culture et ainsi de suite. Mais les degrés de liberté sont de toute façon plus nombreux que zéro. Par exemple, il peut choisir d’être un soldat, un chauffeur de taxi, ou un employé. Mais, si un homme de 50 ans perd son emploi, la seule chose qu’il peut faire est de couper son pain en tranches aussi minces que possible. S’il était un employé, il n’aura jamais une licence de taxi ou il ne sera jamais enrôlé comme mercenaire en Libye.

Je suppose que mon hypothèse est compatible avec la physique et aussi avec les données historiques. Beaucoup, sinon toutes les civilisations qui se sont éteintes, ont disparu à cause des invasions étrangères ou lors d’un effondrement dans une trajectoire typique de la falaise de Sénèque. De nombreux historiens ont étudié ce phénomène étonnant: Vico, Toynbee, Spengler, Tainter, pour ne citer que les savants les plus éminents. Chacun d’eux a proposé un ensemble différent de causes pour les effondrements des civilisations, et tous les aspects importants ont été analysés. Peut-être que l’effet des structures dissipatives dynamiques est la physique sous-jacente de cet événement historiquement récurrent.

Pour moi, cette hypothèse est aussi cohérente avec la sagesse antique. La mythologie et les récits épiques sont pleins d’exemples dans lesquels le héros a la possibilité de changer un destin défavorable, mais seulement alors qu’il (ou elle) est loin de le réaliser. Pour citer un exemple, Hector a eu trois fois l’occasion de mettre fin à la guerre de Troie, mais à chaque fois il a refusé de le faire, parce qu’il était en train de gagner et voulait la victoire totale. Il était sûr que la destruction de la flotte achéenne signifierait la fin des hostilités, mais nous savons que l’histoire s’est passé différemment. Il a finalement compris son erreur de calcul, mais à ce moment là, il était trop tard: Achille se tenait en face de lui.

Peut-être, à un niveau socio-économique, avons-nous une situation similaire : aussi longtemps que nous sommes en croissance, nous pouvons choisir de mettre fin à la croissance. Mais une fois que le dépassement arrive, nous ne pouvons que suivre la voie thermodynamique intrinsèque générée par le système. Habituellement, cela signifie une croissance supplémentaire entraînée par l’inertie du système, suivie d’un effondrement plus ou moins violent. Et c’est peut-être notre destin inévitable.

Forme d’un cycle Secular typique, sur la base du travail de Peter Turchin et Sergey Nefedov dans Cycles séculiers. (http://press.princeton.edu/titles/8904.html). Graphique par Gail Tverberg
Jacopo Simonetta

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