vendredi 5 août 2016

Le pouvoir du Niet

Aaticle original de Dmitry Orlov, publié le 26 Juillet 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

La façon dont les choses sont censées fonctionner sur cette planète est la suivante: aux États-Unis, les structures de pouvoir (publiques et privées) décident ce qu’elles veulent que le reste du monde doit faire. Ces pouvoirs communiquent leurs vœux par les canaux officiels et officieux, en attendant une coopération automatique. Si la coopération n’est pas immédiate, ils appliquent une pression politique, économique et financière. Si cela ne produit toujours pas l’effet escompté, ils tentent un changement de régime par une révolution de couleur ou un coup d’État militaire, ou organisent et financent une insurrection conduisant à des attaques terroristes et à une guerre civile sur le sol de la nation récalcitrante. Si cela ne fonctionne toujours pas, ils bombardent le pays pour le renvoyer à l’âge de pierre.



Ceci est la façon dont le monde a fonctionné dans les années 1990 et les années 2000, mais vers la fin, une nouvelle dynamique a émergé.



Au début, elle était centrée sur la Russie, mais le phénomène s’est depuis répandu dans le monde et il est sur le point d’engloutir les États-Unis eux-même. Il fonctionne comme ceci : les États-Unis décident de ce qu’ils veulent que la Russie doit faire, lui communique leurs souhaits et s’attendent à une coopération automatique. La Russie dit Niet. Les États-Unis enclenchent ensuite toutes les étapes décrites ci-dessus jusqu’à, mais non incluse, la campagne de bombardement, dont ils sont découragés par la dissuasion nucléaire de la Russie. La réponse reste Niet. On pourrait peut-être imaginer qu’une personne intelligente au sein de la structure du pouvoir des États-Unis donnerait le tuyau et dirait: « Sur la base des éléments des preuve devant nous, dicter nos conditions à la Russie ne fonctionne pas; nous allons essayer de négocier avec la Russie de bonne foi comme des égaux. »Et alors tout le monde se frapperait le front en disant : « Ouah! C’est génial! Pourquoi ne pas y avoir pensé? » Mais au lieu de cela, cette personne serait virée le jour même, parce que, voyez-vous, l’hégémonie mondiale américaine est non négociable. Et donc ce qui se passe à la place, c’est que les Américains seront déconcertés, ils vont se regrouper et essayer à nouveau, ce qui serait tout à fait amusant s’agissant d’un spectacle comique.

Tout l’imbroglio Edward Snowden était particulièrement amusant à regarder. Les États-Unis ont exigé son extradition. Les Russes ont dit: « Niet, notre Constitution l’interdit. » Et puis, sans rire, quelques voix en Occident ont demandé en réponse que la Russie change sa Constitution! La réponse, ne nécessitant pas de traduction, était « ha-ha-ha-ha-ha! » Moins drôle est l’impasse sur la Syrie : les Américains ont exigé que la Russie s’aligne avec leur plan pour renverser Bachar al-Assad. La réponse russe immuable a été : « Niet, c’est aux Syriens de décider de leur gouvernement, pas à la Russie ni aux États-Unis. » Chaque fois qu’ils l’entendent, les Américains se grattent la tête et… essayent à nouveau. John Kerry était tout récemment à Moscou, tenant une session de négociation marathon avec Poutine et Lavrov. Ci-dessus, une photo de Kerry parlant à Poutine et Lavrov à Moscou il y a environ une semaine. Leurs expressions faciales sont difficiles à mal interpréter. Il y a Kerry, dos à la caméra, toujours en train de déblatérer comme à son habitude. Le visage de Lavrov dit : « Je ne peux pas croire que je dois rester ici et écouter ce non-sens à nouveau. » Le visage de Poutine dit : « Oh le pauvre idiot, il ne peut se résoudre à comprendre que nous allons juste lui dire ‘niet’ à nouveau. » Kerry est rentré à la maison avec un autre niet.

Ce qui est pire, c’est que d’autres pays commencent maintenant à agir de même. Les Américains ont dit aux Britanniques exactement comment voter, et pourtant les Britanniques ont dit niet et ont voté pour le Brexit. Les Américains ont dit aux Européens d’accepter l’horrible prise de pouvoir des multinationales via le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP), et les Français ont dit « Niet, il ne passera pas. » Les États-Unis ont organisé encore un autre coup d’État militaire en Turquie pour remplacer Erdogan par quelqu’un qui ne serait pas tenter d’essayer d’être amical avec la Russie et les Turcs ont dit niet à cela aussi. Et maintenant, horreur des horreurs, il y a Donald Trump qui dit niet à toutes sortes de choses comme l’OTAN, la délocalisation des emplois américains, laisser passer un flot de migrants, la mondialisation, les armes pour les nazis ukrainiens, le libre-échange…
L’effet psychologique corrosif du niet sur le psychisme hégémonique américain ne peut pas être sous-estimé. Si vous êtes censé penser et agir comme un hégémon, mais que seule la partie penser fonctionne toujours, alors le résultat est une dissonance cognitive. Si votre travail est d’intimider les nations autour de vous mais que les nations ne peuvent plus être victimes d’intimidation, alors votre travail devient une blague et vous deviendrez un malade mental. La folie résultante a récemment produit un symptôme tout à fait intéressant : un certain nombre de membres du personnel du Département d’État américain ont signé une lettre, qui a été divulguée rapidement, appelant à une campagne de bombardement contre la Syrie pour renverser Bachar el-Assad. Ce sont des diplomates. La diplomatie est l’art d’éviter la guerre par la discussion. Les diplomates qui appellent à la guerre ne sont pas exactement… diplomatiques. On pourrait dire que ce sont des diplomates incompétents, mais ce ne serait pas aller assez loin (la plupart des diplomates compétents ont quitté le service au cours de la seconde administration Bush, beaucoup d’entre eux dégoûtés d’avoir eu à mentir au sujet de la justification de la guerre en Irak). La vérité est qu’ils sont malades, des bellicistes fous non diplomatiques. Telle est la puissance de ce simple mot russe qui leur a littéralement fait perdre la tête.
Mais il serait injuste de ne parler que du Département d’État. C’est comme si l’ensemble du corps politique américain avait été infecté par un miasme putride. Cela imprègne toutes choses et rend la vie misérable. En dépit des problèmes croissants, la plupart des autres choses aux États-Unis sont encore à peu près gérables, mais cette chose, l’incapacité à intimider l’ensemble du monde, ruine tout. On est au milieu de l’été, le pays est à la plage. Le sable de la plage est sale et granuleux, le parasol a des trous, les boissons gazeuses dans la glacière sont coupées avec des produits chimiques désagréables et la lecture est ennuyeuse… et puis il y a une baleine morte en décomposition à proximité, dont le nom est niet. Cela ruine toute l’ambiance !

Les têtes bavardes des médias et des politiciens de l’establishment sont à ce point douloureusement conscients de ce problème que leur réaction prévisible est de blâmer ce qu’ils perçoivent comme sa source ultime : la Russie, commodément personnifiée par Poutine. « Si vous ne votez pas pour Clinton, vous votez pour Poutine » est l’un des slogans politiques récemment lancés. Un autre est que Trump est l’agent de Poutine. Toute personnalité publique qui refuse de prendre une position pro-establishment est automatiquement étiquetée « idiot utile de Poutine ». Prises à leur valeur nominale, de telles allégations sont absurdes. Mais il y a une explication plus profonde pour elles : ce qui les lie toutes ensemble est la puissance du niet. Un vote pour Sanders est un vote niet. L’establishment démocrate a produit un candidat et a dit aux gens de voter pour lui, et la plupart des jeunes ont dit niet. Même chose avec Trump : l’establishment républicain a sorti ses sept nains et a dit aux gens de voter pour l’un d’eux. Et pourtant la plupart des ouvriers blancs privés de leurs droits ont dit niet et ont voté pour Blanche Neige, l’outsider.

C’est un signe d’espoir que les gens à travers ce monde dominé par Washington aient découvert la puissance du niet. L’establishment peut encore avoir l’air smart à l’extérieur, mais sous la nouvelle peinture brillante se cache une coque pourrie, avec de l’eau sortant par chaque couture ouverte. Un niet assez retentissant sera probablement suffisant pour l’amener à se désintégrer, ce qui laisse tout à coup la place pour des changements vraiment nécessaires. Lorsque cela se produira, s’il vous plaît, souvenez-vous de remercier la Russie… ou, si vous insistez, Poutine.

Dmitry Orlov

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire