jeudi 22 décembre 2016

La pire erreur qu’un général puisse faire : la charge Pickett de l’industrie pétrolière

Article original de Ugo Bardi, publié le 11 Décembre 2016 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr




La charge de Pickett a eu lieu en 1863, pendant la bataille de Gettysburg, et elle s’est terminée par une défaite pour les Confédérés. Des années plus tard, quand on lui a demandé pourquoi la charge avait échoué, le général George Pickett aurait répondu : « J’ai toujours pensé que les Yankees avaient quelque chose à voir avec ça. » Il semble que la pire erreur qu’un général puisse commettre est d’oublier qu’il y a un ennemi. Il semble que ce soit l’erreur de l’industrie pétrolière : oublier qu’il y a un changement climatique.


Lors d’une conférence, je me suis assis dans l’auditoire lors de la session consacrée aux combustibles fossiles. La personne qui parlait était le représentant d’Exxon [depuis, le président de cette compagnie est devenu secrétaire d’État de Trump, NdT]. Elle a l’air confiante quand elle commence à parler au micro. Son discours est tenu d’une manière assez monotone, il est clair qu’elle est habituée à ces présentations.
J’ai entre les mains un document qui a été distribué avant le début de la session et je vois qu’elle suit de près les données et les chiffres présentés ici. La plupart des données sont des extrapolations des tendances futures de la production de combustibles fossiles. J’ai encore les documents qu’ils m’ont donnés à la conférence, mais il est facile de trouver le rapport sur le Web. Voici comment il est décrit :
Chaque année, une équipe de base d’ExxonMobil produit un rapport intitulé Perspectives pour l’énergie : une vue jusqu’en 2040. Sur la base des données historiques, des tendances actuelles et des hypothèses concernant l’avenir (par exemple, comment l’efficacité énergétique s’améliorera), l’équipe ExxonMobil planifie la demande et l’offre pour toutes les sources d’énergie, y compris les combustibles fossiles et les énergies renouvelables, et le mix énergétique mondial qui en résulte.
Et voici un instantané de leurs principales prédictions à 2040:


Comme vous le voyez, tout continue de croître, dieu merci, sauf le charbon, mais il ne se contracte que de 0,2% par an. Le reste, c’est tout pour la croissance.

Et donc je regarde la présentation arriver à sa fin : l’essentiel est que tout va bien et que tout va bien se passer. Nous continuerons à accroître la production de pétrole et de gaz, l’économie continuera de croître, et c’est ainsi que les choses ont été et seront. Le terme « changement climatique » n’a même pas été mentionné. Ensuite, la présentation se termine et il y a quelques questions polies avant de passer le microphone à quelqu’un d’autre. Je pense vaguement à me lever et à dire quelque chose comme : « Ne pensez-vous pas que vous oubliez quelque chose avec vos projections ? » Mais je ne le fais pas, bien sûr. Je reste assis là où je suis, incapable de faire autre chose que de secouer la tête.

C’est à ce moment que l’histoire de la charge Pickett me vint à l’esprit. Le général Pickett se rendait-il compte qu’il envoyait ses hommes charger à découvert contre la position bien défendue de Cimetière Ridge ? A-t-il vraiment oublié qu’il y avait un ennemi, là ? Alors, la dame d’Exxon a-t-elle oublié qu’il y a quelque chose qu’on appelle « changement climatique » ? Les personnes qui ont préparé le rapport y ont-elles jamais pensé ?

Je ne pense pas qu’elles l’aient oublié. Si vous regardez le site Exxon, ils ont plusieurs pages consacrées au changement climatique. Ce sont des propos vagues où ils disent oui, c’est important, oui, nous faisons quelque chose, et oui, nous comprenons, et oui, oui, oui, nous savons, mais nous allons continuer à extraire et à brûler parce que c’est notre travail. Et, non, nous ne vous montrerons pas de données quantitatives sur les conséquences de ce que nous faisons.

Donc, laissez-moi montrer quelque chose de quantitatif : un petit graphique que mes collègues ont récemment préparé.

Graphique de Ilaria Perissi et Sara Falsini
Vous voyez les cercles noirs : business as usual ; pas très différent du scénario Exxon. Les points colorés marquent les trajectoires que nous devons suivre si nous voulons rester dans le budget carbone global pour ne pas avoir plus de 2° d’augmentation de la température. Les trajectoires supposent un pourcentage constant de déclin annuel et, bien sûr, plus nous attendons, plus le recul doit être net. La situation est déjà si impérieuse qu’il semble impensable que nous ne devions commencer qu’en 2030. Alors, si nous attendons trop longtemps, ce sera tout simplement impossible : au taux de BAU actuel, nous serons à court de budget carbone en 2042. C’est plus ou moins, la limite temporelle de l’analyse d’Exxon. Si nous suivons leur extrapolation, en 2040 nous aurons un budget carbone nul. Et ils croient vraiment en leur extrapolation. Ils ne pensent pas qu’il existe une chose comme le peak oil.

C’est encore une charge Pickett : il y a un ennemi là-bas, mais l’industrie pétrolière continue de charger comme s’il n’y en avait pas.

Ugo Bardi


 
Note du traducteur

Ugo est toujours très bon pour utiliser l'histoire et du point de vue de la complexité et des rendements décroissants, on se prépare assez sûrement à de joyeux moments. Pour son analyse du changement climatique, vous noterez que lui aussi parle de changement et plus de réchauffement alors qu'il insiste sur les 2° d'augmentation.

Vous pouvez remplacer « changement climatique » par pollution ou limite de la croissance selon votre religion mais l'idée reste la même. Exxon et les autres multinationales ne vont rien changer car elles sont lancées sur une trajectoire que rien ne semble pouvoir arrêter, au moins tant que la rémunération des dirigeants sera indexée sur la croissance.

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