mardi 13 juin 2017

Pourquoi le mode de vie américain est négociable : la révolution du transport arrive

Article original de Ugo Bardi, publié le 29 Mai 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Image: publicité Volkswagen en 1939 (source).
Déjà à cette époque, l’Allemagne envisageait d’adopter le modèle américain de «1 voiture dans chaque garage». Mais posséder une automobile semble devenir de plus en plus obsolète. Tôt ou tard, les gens devront abandonner leurs voitures, fermant un cycle particulier et inhabituel dans l’histoire de l’humanité. C’est le billet le plus subversif que j’aie jamais publié, je pense.


Dans une publication précédente, j’ai discuté du rapport RethinkX de James Arbib et Tony Seba, sur l’avenir du transport. Le rapport traite d’une révolution technologique, qui aboutirait à un nouveau concept : « Transport en tant que service » (TaaS), qui permettra aux gens de se déplacer principalement en utilisant des voitures sans conducteur et accessibles au public. Beaucoup ont pris le rapport (et mes commentaires à ce sujet) comme un autre technofix visant à garder les choses telles qu’elles sont ; business as usual. En effet, le rapport a développé le concept «TaaS», en termes de croissance économique. Rien d’autre n’est acceptable dans le débat public, aujourd’hui.


Ainsi, il semble que peu de gens se rendent compte de la sorte de vache sacrée que Arbib et Seba envisagent d’abattre et servir en hamburgers bien cuits. Ce n’est rien de moins que la voiture privée, l’élément central du mode de vie américain (oui, exactement ce dont George Bush parlait : « ce n’est pas négociable »). Cette idée est aussi loin que possible du business as usual, l’une des idées les plus perturbatrices et les plus révolutionnaires que j’ai rencontrées ces derniers temps. Donc, je pense que je peux approfondir ce sujet et expliquer pourquoi c’est aussi perturbateur et révolutionnaire.

Commençons par le début: tout a commencé en 1908 avec la Ford T (graphique de The Daily Signal)



La croissance de la propriété d’automobiles a été le résultat d’une décision politique que la plupart des gouvernements occidentaux ont prise à un moment donné (même Adolf Hitler l’a fait, au moins en partie). Il n’était pas nécessaire de la prendre; par exemple, le gouvernement soviétique a toujours découragé la propriété de la voiture privée. Mais les gouvernements, bien qu’ils ne soient pas des organismes bienveillants, sont composés de personnes et les gens peuvent reconnaître une bonne affaire lorsqu’ils la voient. Plus de voitures signifiait plus d’autoroutes, plus de ponts, plus de centres commerciaux, plus de développement de logements et plus de possibilités de construire des choses. Cela a coûté beaucoup d’argent. Ainsi, le développement explosif de la motorisation privée s’est produit parce que cela pouvait se produire.

Mais ces derniers temps, la tendance s’est inversée. Le nombre de voitures par personne et par ménage diminue. Ces données par Sivak (2015) semblent être les plus récentes disponibles.

Par foyer
Par permis de conduire
Par personne
Et ce n’est pas seulement le nombre de voitures qui descend, mais le nombre de kilomètres parcourus par personne ou par voiture est aussi en baisse. La tendance est la même dans de nombreux pays occidentaux : nous avons passé une sorte de « pic automobile».

Alors, que se passe-t-il? Un facteur est que les voitures deviennent plus chères (graphique de The Atlantic):

Augmentation des coûts d’utilisation d’une voiture

C’est principalement parce que les voitures deviennent plus lourdes et plus compliquées. Aujourd’hui, une Coccinelle Volkswagen classique coûterait très peu, peut-être moins qu’au moment de la grande croissance de la motorisation des années 1950. Mais aucune compagnie d’assurance ne voudrait l’assurer, et aucun gouvernement ne lui fournirait une plaque d’immatriculation : trop bruyant, dangereux et polluant.

Mais le coût croissant de la propriété est probablement un facteur mineur, par rapport aux changements plus profonds qui se déroulent. L’inégalité sociale croissante conduit une fraction toujours plus grande de personnes à devenir pauvres ou très pauvres. Voir ci-dessous le comportement du Coefficient de Gini, une mesure de l’inégalité dans la société.



Les voitures sont donc plus chères et plus de gens sont pauvres. Pas étonnant que la propriété en nombre de voitures diminue : une fraction progressivement plus élevée de la population ne peut plus se permettre d’acheter de voitures.

Nous ne devrions pas être surpris : pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, la plupart des gens marchaient. Seuls quelques-uns pouvaient se permettre des chevaux ou des porteurs. Une voiture dans chaque garage a été  un phénomène très particulier, qui ne pouvait durer longtemps et qui ne sera probablement jamais répété à l’avenir. Mais la fin du cycle peut ne pas être indolore pour beaucoup. Si vous vivez ou avez vécu dans une zone de banlieue occidentale, vous savez quel est le problème.

image de Pinterest

Vous voilà, à quelques kilomètres de tout ce qui n’est pas une autre maison individuelle. A des kilomètres de votre lieu de travail, du supermarché le plus proche, de la gare la plus proche. Pas de voiture signifie pas de travail, pas d’épicerie, pas d’endroit où aller.

Bon gré mal gré, la plupart des familles vivant dans les banlieues occidentales possèdent encore au moins une voiture. Elles le doivent, même si cela implique une pression de plus en plus lourde sur leur budget. Mais, au fur et à mesure que les tendances actuelles se poursuivront, il arrivera un moment où la possession d’une voiture deviendra un fardeau trop lourd pour transporter une fraction non négligeable de la population des banlieues. Alors, que va-t-il se passer? Eh bien, il existe plusieurs façons possibles pour les gens d’y faire face : le vélo, le covoiturage, utiliser des ânes, déménager hors de la ville pour vivre dans une cabane faite de conteneurs en carton mis au rebut ou, tout simplement, devenir un zombie et mourir.

Il est peu probable (pour le dire vite) que les villes instaureront des services de bus conventionnels, pour les citoyens qui se retrouveraient bloqués dans des banlieues prison : ce serait terriblement coûteux. Donc, comme cela se produit dans ces cas, l’innovation technologique est censée venir à la rescousse. Et elle va le faire avec le concept de «TaaS» (Transport en tant que service). Il s’agit essentiellement d’un service de location de voitures de haute technologie, où vous utilisez un véhicule uniquement lorsque vous en avez besoin, grâce aux merveilles technologiques des satellites de positionnement global, à la conduite automatisée et à l’énergie électrique.

Il n’est pas évident que TaaS sera moins cher que la propriété d’une voiture en dollars par kilomètre. Mais, avec TaaS, vous n’avez pas les coûts fixes liés à la possession d’une voiture : vous pouvez économiser de l’argent en réduisant vos déplacements au strict minimum. Ainsi, vous pouvez utiliser TaaS pour atteindre votre lieu de travail (si vous avez encore un emploi) et pour atteindre un supermarché pour échanger vos tickets alimentaires. Le reste du temps, vous resterez à la maison et regarderez la télévision ou utiliserez les médias sociaux. De quoi d’autre avez-vous besoin?



Arbib et Seba ont correctement décrit dans leur rapport comment ce phénomène ne sera pas progressif : il va être explosif. À mesure que la propriété de la voiture diminuera, le coût des voitures augmentera, simplement en raison de la diminution des économies d’échelle. Ajoutez à cela les bénéfices décroissants de l’industrie pétrolière et tout cela va imploser rapidement, générant un exemple type « cas d’école » pour la « falaise de Sénèque« .

À la fin du cycle, les gens (ceux qui survivront à l’épreuve) pourraient abandonner la banlieue et se déplacer vers une tour d’appartements qui peut être desservie par les transports publics à des coûts raisonnables. À ce stade, le paysage américain pourrait beaucoup ressembler à celui de l’ancienne Union soviétique.
image from Wikipedia
Finalement, TaaS est un exemple du concept de l’« Internet des choses » qui est tellement à la mode de nos jours. Cela signifie que vous ne posséderez plus les choses, voitures ou quoi que ce soit ; vous les louerez. Ainsi, votre réfrigérateur, votre téléviseur, même votre grille-pain, ne seront pas votre propriété, mais celle des sociétés qui les loueront. C’est une bonne idée, car vous pourrez avoir les derniers modèles et vous ne devrez pas vous soucier de leur maintenance. Au moins, aussi longtemps que vous ne manquerez pas de crédit, parce que, si cela arrive, votre grille-pain refusera de griller votre pain.

Tout cela ressemble à… Eh bien, vous savez à quoi cela ressemble. Avez-vous déjà imaginé que le communisme viendrait un jour aux États-Unis, apporté par des entreprises et au nom du progrès technologique? L’American way of life s’avère finalement négociable.

Ugo Bardi

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