jeudi 28 septembre 2017

Levez vous, les prisonniers de la sémantique ! 3/3

Article original de Dmitry Orlov, publié le 21 septembre 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


 

Le langage est l’outil avec lequel nous pensons et communiquons. Cela le rend très important. Il y a des idées flottant dans l’air qui font que notre choix d’outils linguistiques n’est pas pertinent. Ainsi les gens sont des gens, quelle que soit la langue qu’ils parlent, ils ont tous le droit de s’exprimer librement, et ils ont le droit d’exprimer leurs opinions, en fonction de ce qu’ils pensent, en votant. Mais il existe des différences entre les langues, tout comme il existe des différences entre une flûte et un kazoo à une extrémité du spectre et un piano de concert à l’autre. Par conséquent, le répertoire classique est rempli de concertos pour piano, mais il y a une pénurie pour les deux autres. Le langage a toutefois beaucoup plus d’utilité que de faire de la belle musique : c’est le moyen utilisé pour la réflexion, la délibération et la prise de décision.



Tout comme un pianiste de concert ne passe pas beaucoup de temps à penser quel doigt poser sur quelle touche, laissant la musique prendre ses mains là où elle le veut, de même nous laissons notre langue porter notre réflexion d’une manière en grande partie automatique. Les caractéristiques spécifiques de la langue que nous parlons influencent les pensées que nous pensons. Il est possible mais difficile d’aller au-delà de ce que notre langue peut facilement exprimer et seulement grâce à l’utilisation d’une terminologie spéciale et de contraintes maladroites et laborieuses. D’un autre côté, il ne faut pas attendre de miracles de notre langue sur des sujets où elle ne s’applique pas. Lorsque les gens commencent à ignorer quelques subtilités de la grammaire, ils peuvent d’abord avoir l’air embrouillés et sans éducation, mais une fois que cette tendance se renforce, tout le monde finit par oublier de quoi il s’agissait. Ce qui se passe en fait, c’est que les voix d’innombrables générations de nos ancêtres sont soudainement et définitivement réduites au silence. Ils ont développé cette catégorie ou cette caractéristique grammaticale après des essais et des erreurs, et l’ont conservée pendant des milliers d’années car cela leur a conféré des avantages pour eux – et pour nous-mêmes – en nous permettant d’avoir des pensées de meilleure qualité plus ou moins facilement et automatiquement.

C’est une histoire d’horreur dans laquelle la perte d’une distinction grammaticale petite mais essentielle conduit une certaine partie de l’humanité à être conquise et dominée par les machines à tel point qu’elle oublie ce que signifie être un humain, ou un animal, ou vivant.

Mais d’abord, voici quelques antécédents. Il y a deux grands tabous en linguistique, et tous deux sont mes sujets favoris. L’un est l’hypothèse de Sapir-Whorf, qui est l’idée que la structure d’une langue détermine (dans sa version forte) ou affecte de manière significative (dans sa version faible) la vision du monde du locuteur. L’autre est l’évolution linguistique : l’idée que des langues humaines plus avancées et plus complexes ont évolué dans le temps à partir de langues plus primitives et plus simples. Dans les deux cas, l’évitement de ces questions est principalement motivé par la politique. Si l’on peut montrer que les langues plus primitives produisent des esprits humains plus primitifs, un tel discernement apparaîtrait comme discriminatoire. Dans le cas de l’évolution linguistique, si certaines langues peuvent être plus évoluées que d’autres, cela montre de nouveau sous un jour défavorable leurs locuteurs natifs, ce qui fait que ceux qui adoptent une telle image sont automatiquement qualifiés de « racistes ».

La vision politiquement correcte de l’humanité est que nous sommes tous des cousins ; que tous les humains modernes sont fondamentalement biologiquement les mêmes, à l’exception des adaptations climatiques qui rendent certains d’entre nous moins sensibles aux coups de soleil et d’autres aux risques de gelures. Mais de telles variations ne devraient pas être utilisées de manière discriminatoire, car notre vaste potentiel humain reste le même malgré ces différences. Malgré ces contraintes biologiques, ces limites doivent être balayées par l’utilisation de la technologie – par l’application appropriée de la crème solaire ou de sous-vêtements thermiques. Suggérer que peut-être les gens de couleur noire devraient continuer à vivre dans les régions tropicales et les Blancs dans l’Arctique est, encore une fois, « raciste ». Une fois que la technologie aura été utilisée pour compenser les différences physiologiques, tout le reste deviendra une question de culture, et ici la « diversité » est le mot clé : toutes les cultures, avec leur vaste variété de cuisine, de vêtements, de formes de discours et de coutumes pittoresques doivent être également respectées dans un monde métissé d’attributs personnels facultatifs et d’accessoires culturels. Cette attitude semble éclairée ; mais peut-on la considérer comme naturelle, ou normale, ou… durable ?

L’application de normes strictes et égalitaires exige une application presque constante de mesures disciplinaires, à commencer par l’école maternelle et cela continue jusqu’aux institutions d’enseignement supérieur et sur les lieux de travail. C’est nécessaire parce que les humains (quelle que soit leur couleur, leur forme et leur taille) sont équipés d’un système automatique d’identification d’amis ou d’ennemis plutôt difficile à désarmer. Conduisez dans une petite ville n’importe où dans le Sud profond des États-Unis (je ne suis pas en train de m’en prendre aux Sudistes, je pense simplement qu’ils sont plus représentatifs de l’humanité en général que, par exemple, les New-yorkais ou les Californiens). Une fois là, allez directement dans un bar et essayez d’établir des relations sociales avec celui qui se trouve là. Les chances sont grandes de voir tôt ou tard un local s’approcher de vous et dire : « Vous n’êtes pas ici, n’est-ce pas ? » Profitez de  cette occasion pour vous attaquer aux origines locales de votre interlocuteur, en insinuant qu’il pourrait en fait, être originaire du comté de Calhoun, et qu’il ne fait pas très couleur locale non plus, « comté un peu plus loin sur la route la dernière fois que j’ai vérifié ». Cela suscitera sans doute de fortes objections de « Par tous les enfers, bien sûr que je suis d’ici ! J’ai vu le jour et j’ai été élevé dans le comté de Lee !». À ce moment, vous devriez présenter des excuses et tout devrait rentrer dans l’ordre à partir de là.

Tout cela, ce que je viens de vous soumettre, est parfaitement normal dans le monde entier. Il serait faux de l’appeler un « élément culturel universel » parce qu’il n’a pas beaucoup à voir avec la culture. C’est un système intégré qui est activé, principalement mais pas exclusivement chez les mâles de l’espèce, à environ cinq ou six ans, quelle que soit la culture. D’un autre côté, la désactivation de ce système par l’imposition d’une discipline externe, à la maternelle, à l’école, etc. nécessite un type de conditionnement social qui peut être considéré comme une partie de la culture. On pourrait également dire que la désactivation de ce système de détection amis-ou-ennemis réduit les personnes à un état infantile permanent : au lieu de dépendre de leurs instincts et de leurs sens pour détecter des étrangers et des ennemis potentiels au milieu d’eux, ils sont forcés de compter sur des « autorités » toujours bienveillantes pour s’occuper d’eux, et d’écouter la voix de leur maître au lieu de leur propre raison. C’est aussi le modèle avec les animaux domestiqués. Le débourrage des chevaux, le dressage des chiens et ainsi de suite rendent ces animaux normalement sauvages coopératifs et utiles. Les animaux (en dehors des humains) sont considérés comme des biens et ne sont pas autorisés à avoir leurs propres sociétés au milieu de la nôtre ; ceux qui le font sont ciblés par le « contrôle des animaux ». Les enfants, une fois qu’ils sont « brisés » de cette manière, deviennent la propriété du système et peuvent lui rendre service en travaillant.

Bien que l’apparence physique, l’habillement et le comportement aient beaucoup à voir avec notre système intégré d’identification des amis ou des ennemis, l’un de ses déclencheurs principaux est le langage. Quand un policier de Boston vous arrête pour un délit, vous avez le choix : appelez-le « officier » et vous récolterez une amende, mais appelez-le « oafficeh » [avec l’accent, NdT] et vous n’obtiendrez probablement qu’un avertissement. Dans une petite municipalité, les locaux, spécialement les plus vieux et d’autant plus s’ils sont corrompus, mettent un point d’honneur à cultiver un accent local précisément pour cette raison : c’est leur ticket pour un univers privilégié.  Je me suis souvent émerveillé de la facilité de ce fait, mais j’ai des tendances semblables à celles des oiseaux moqueurs et j’ai étudié la phonétique et la phonologie à un niveau universitaire. Mais ce n’est pas si simple pour la plupart des gens, car au-delà d’un certain âge, le langage devient rivé à notre cerveaux et notre corps où il fonctionne automatiquement à un niveau semi-conscient. Plus d’une centaine de muscles sont impliqués dans le système articulatoire et la façon dont ils sont utilisés est spécifique à chaque langue et dialecte. La plupart des gens ne parviennent à parler qu’une seule langue sans un accent détectable. Les bilingues et les multilingues réussissent parfois à faire mieux.
C’est une question d’habitude et d’exercice : négligez une langue pendant quelques années, et lorsque vous commencez à la reparler à nouveau, vous aurez l’air drôle et votre bouche s’en ressentira. En bref, un accent local est, pour la plupart des gens, très difficile à falsifier de manière convaincante. D’autre part, repérer quelqu’un avec un accent est une capacité innée possédée par tout le monde. Cela rend le déclenchement automatique d’un système de détection amis-ou-ennemis par l’accent extrêmement efficace, avec très peu de faux positifs ou de faux négatifs.

Apprendre sa langue maternelle est également automatique et efficace. Les enfants qui ne sont pas exposés à une langue pendant une période critique de l’enfance n’apprennent jamais à parler. Mais les groupes d’enfants qui grandissent ensemble sans que personne ne leur apprenne comment parler vont créer spontanément une langue. C’est parce que les notions de base du langage, les voyelles et les consonnes, les syllabes, le concept de mots si important, qui peuvent être des noms, des verbes, des adjectifs et quelques autres encore, la deixis (la capacité de dire « ça » en pointant) et quelques autres éléments, tout cela est génétiquement codé en dur et ne nécessite qu’un déclencheur pour le mettre en forme chez un enfant qui peut vous entendre et répondre. Ce sera assez primitif, mais cela leur permettra d’avoir des idées de base et, plus important encore, de communiquer comme des singes, pour leur permettre d’identifier qui fait partie de leur groupe et qui n’en fait pas partie.

De tels exemples extrêmes sont rares, mais il existe de nombreux exemples communs de groupes qui parlent différents dialectes ou des langues qui sont jetés ensemble et forcés de rechercher un terrain d’entente linguistique, souvent appelé un pidgin. Dans le processus, de nombreuses distinctions grammaticales sont effacées, aboutissant à un langage beaucoup plus simple, moins expressif et incomplet. Les enfants qui grandissent en écoutant un pidgin le complètent spontanément, ce qui donne lieu à un pidgin primitif créolisé mais plus proche d’une langue réelle.

À titre d’exemple, un signe révélateur selon lequel une langue a traversé un épisode de type pidgin créolisé est l’apparition de mots articles comme « le » qui sont indispensables une fois que la grammaire se développe au point qu’il devient nécessaire de marquer explicitement les noms en ayant un mot qui signifie essentiellement « c’est un nom ». Par exemple, le latin n’a pas d’articles, mais toute langue romaine qui en a découlé en a, dont l’italien, l’espagnol, le français, le portugais, le roumain et, dans une grande mesure, l’anglais. Le fait que, tout au long de leur développement, tous ces idiomes aient pu accéder à leurs racines latines et à l’apprentissage classique les a aidées à émerger comme des langues à part entière dotées d’un grand pouvoir expressif.

Mais beaucoup a été perdu. Par exemple, tous les noms mentionnés ci-dessus ont perdu leur déclinaison, ce qui a amené les sujets, les compléments d’objets directs et les compléments d’objets indirects. En raison de cela, tous doivent utiliser beaucoup plus de prépositions et adhérer à un ordre rigide de mots avec sujet-verbe-objet alors que l’ordre des mots en latin est libre d’être utilisé pour la nuance et l’accent. Plus important encore, les noms anglais ont perdu leur genre grammatical (masculin, féminin, neutre), une distinction importante dont j’ai parlé précédemment. Les pronoms anglais le conservent (il / elle), mais même cette distinction est actuellement soumise à une agression par les « guerriers de genre ».

C’est une histoire d’horreur qui se déroule selon sa propre dynamique. Mais le sujet de cet article est celui  d’une autre histoire d’horreur, qui est probablement encore pire, fonction de la perte d’une autre distinction grammaticale : l’animation. Le terme vient directement du mot latin pour la vie ou l’âme-animale, et n’est que secondairement associé à un être animé ou capable de se déplacer. L’animation est considérée comme une universalité linguistique : toutes les langues distinguent les personnes des objets d’une manière ou d’une autre, et cette distinction se reflète dans leur grammaire. En général, il existe une hiérarchie d’animation qui met les êtres humains au sommet, suivis d’animaux supérieurs, d’animaux inférieurs, de plantes, d’objets concrets et d’objets abstraits. Quelque part près du sommet de la hiérarchie il y a les forces de la nature : les anciens dieux païens, si vous voulez, personnifiant des choses comme la terre, le vent, le feu et l’eau. Ce n’est pas un hasard si les ouragans sont nommés : qu’est donc Maria, qui vient de démolir Puerto Rico, et attise actuellement des vents soutenus de près de 185 km/h sur la côte d’Hispaniola, sinon une déesse furieuse ?

Loin de n’être qu’une distinction grammaticale, la différence entre les objets animés et les objets inanimés est codée dans le cerveau ; les stimuli animés et inanimés se sont révélés être associés à des modèles distincts d’activation du cerveau, et il serait intéressant d’établir s’ils existent ou non chez des animaux autres que les humains. Si cela peut être démontré, cela établirait qu’ils sont indépendants du langage. En tout cas, il est clair que cette distinction confère un avantage évolutif : elle nous permet de distinguer les objets qui ont une volonté et peuvent s’opposer à ceux qui sont soumis à notre volonté et à notre contrôle. Les forces de la nature telles que les tremblements de terre, les tsunamis et les ouragans sont clairement hors de notre contrôle. Les êtres humains et les animaux supérieurs peuvent être contrôlés, mais doivent être traités avec respect. Les plantes sont animées dans la mesure où elles sont vivantes et toute la vie mérite un certain respect. À l’autre extrême, les concepts abstraits sont aussi morts que les morts peuvent l’être. La hiérarchie de l’animation se reflète dans un sens finement harmonisé, et la violer engendre des sentiments troublants.

Grammaticalement, les fonctions d’animation sont des pseudo-genres : les objets masculins et féminins sont animés ; les objets neutres sont inanimés. Cette partie est simple, mais il existe un autre ensemble de subtilités : la première et la deuxième personne sont en quelque sorte plus animées que les personnes du troisième groupe. Cet effet est atténué en anglais, mais peut encore être discerné. Considérons « C’est vous que je choisis ! / It is you whom I choose ! » contre « C’est vous que je choisis ! / It is you that I choose ! » * (L’astérisque est un raccourci qui indique une grammaire défectueuse et / ou des absurdités logiques.) Cette dernière forme est vaguement insultante. Mais il est légèrement possible de traiter les personnes qui ne sont pas à portée de voix comme inanimées. Vous pourriez dire: « Où est le plombier que/that vous avez embauché ? » mais pas « Est-ce que Tom est le plombier que/that vous avez embauché ? » * – Ce serait un « qui / whom », à moins que vous ne souhaitiez faire preuve de dérision ou de dénigrement. Les références animées sont plus respectueuses que les inanimées. Dans le même ordre d’idées, l’animation peut être utilisée comme un pseudo-genre ; par exemple, promouvoir des pavillons [de navigation, NdT] et des pays non d’un « it » mais par un « he / il » (et donc animé) est un signe de respect.

Étant donné que les objets animés sont capables d’une action indépendante, il est important de savoir qui agit et qui subit. Ainsi, la plupart des langues prennent généralement soin de distinguer les sujets animés des objets animés dirigés. Par exemple, l’anglais distingue « I / me », « he / him », « she / her », mais pas « it / it ». Pour les pluriels, la distinction est là pour « we / us » et « they / them », mais pas pour « you / you ». Je pense que beaucoup a été perdu lorsque « thou / thee » est tombé en désuétude ; certains Quakers l’utilisent toujours, et j’applaudis cela. Incidemment, « who / whom » est en danger ; les gens qui craignent pour « with he » ou « with she » pensent que « with who » est en quelque sorte permis. Ce n’est pas le cas. Et si « who / whom » se transforme en « who / who », cela revient au  « it / it » – inanimé, et vous pourriez aussi bien commencer à utiliser « that » à la place, un péché cardinal en ce qui me concerne. [Là je vous laisse traduire en français, langue qui pose le même genre de problématique mais pas aux mêmes endroits, par exemple : qui /qui, NdT]

Étant donné que les distinctions de genre et d’animation sont tellement étroitement liées, le dérangement de l’un dérange l’autre. Avant la fureur très récente dans le sens du déterminisme matérialiste, nous habitions un monde d’esprits – soit des étoiles, des animaux, des ouragans ou des roches – tous mâles ou femelles (et, en conséquence, masculins ou féminins) et qui faisaient correspondre aux hommes et aux femmes des archétypes tissés dans la psyché humaine. Des indices linguistiques subtils nous racontaient ce qui était animé et dans quelle mesure, de sorte que nous savions automatiquement lequel d’entre eux respecter ou auquel faire attention. Tout cela était un produit de l’évolution : biologique, linguistique et culturelle.

Mais maintenant, en anglais, nous faisons face à des agressions sur le genre. Certaines personnes demandent que « lui et elle » soient évités et remplacés par « ils » ou le nouveau « ze » synthétique. En même temps, « who / whom » est en train d’être effacé et remplacé par «who / qui », qui à son tour est remplacé par « that / ça ». Ne pensez pas que je suis un théoricien de complot, mais je pense que tout va selon le plan, c’est-à-dire nous remplacer tous par des machines. Comme je l’ai écrit dans Shrinking the Technosphere :
« Peut-être la technosphère préfère-t-elle voir tout le monde comme vaguement androgyne et sexuellement ambigu, avec des hommes et des femmes doux, efféminés et mous ce qui est globalement le caractère des hommes émasculés ? Après tout, tous les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont obligés de gérer des boutons-poussoirs et de suivre des instructions écrites (jusqu’à être dûment remplacés par des algorithmes et des robots), et ils peuvent faire ces choses assez bien même s’ils ne sont pas sexués. D’autre part, pourquoi ne pas les laisser aller à leurs fantasmes sexuels, aussi pervers et bizarres soient-ils ? »
Le moyen le plus simple de nous convaincre de nous livrer aux machines est de nous les faire aimer. Étant donné que les machines sont sans sexe et, par conséquent, sans genre, le genre doit être détruit. Mais il existe un sentiment inquiétant attaché à leur côté inanimé. Aussi l’animation doit aussi être détruite. Considérez la phrase « It loves her ».* Cela sonne mal, n’est-ce pas ? Les objets inanimés ne sont pas censés aimer. Mais considérons maintenant « It loves zer ». Est-ce que cela sonne faux ? On s’en fout ! C’est comme « X aime Z », un verbe transitif arbitraire impliquant quelques symboles mathématiques.

Une fois que l’animation et le genre ont été effacés, il sera facile de nous convaincre que nous sommes des machines. « Nous ne sommes tout simplement que des machines biologiques », a écrit James Young dans le Huffington Post. Bien, il y a le hardware et le software, et nous sommes la viande (« meatware »). Mais qu’en est-il des pensées et des sentiments ? Qu’en est-il de l’amour ? C’est bien compliqué, alors ne vous inquiétez pas pour eux, pense Young : « Si nous ne savons pas ce que sont l’intelligence ou l’émotion, alors comment pouvons-nous l’imiter dans un ordinateur ? Même si nous fabriquons accidentellement des machines conscientes, nous ne pourrions probablement pas dire si un robot éprouverait réellement des émotions, ou si ce n’est qu’un système suffisamment complexe pour nous inciter à le croire. »

Ceci, croyez-le ou non, est à la base d’une nouvelle industrie prometteuse. « Les experts affirment que les travailleurs du sexe robotisés vont changer le visage de l’industrie », explique John Danaher, professeur de droit de la NUI à Galway. « Les cyborgs peuvent répondre au désir de variété sexuelle, à l’absence de contraintes, aux complications et à la peur du manque de succès sexuel. » Il y a même un angle humanitaire : « Nous n’aurions plus besoin de ‘fake love’ comme avec les prostituées humaines. Le sexe avec des robots est juste au coin de la rue, les premiers sexbots arrivant (…) probablement l’année prochaine », a déclaré David Levy, expert en intelligence artificielle au Congrès international sur l’Amour et le Sexe avec des Robots chez Goldsmiths, à l’Université de Londres.

Et si les ordinateurs peuvent créer du « Fake Love », alors nous le pouvons aussi. Mais peut-être pouvons-nous vraiment tomber amoureux d’un ordinateur. Le film de Spike Jonze, « Her », a un titre trompeur, puisque le protagoniste Theo (joué par Joaquin Phoenix) ne tombe pas amoureux d’une « elle » mais d’un « lui », un logiciel de commande vocale de type Siri nommé Samantha. C’est probablement un film pourri (je ne l’ai pas regardé et ne le ferai pas), mais clairement le manque de genre n’empêchera pas l’amour, et ne manquera pas d’être animé. Et si vous pensez que tomber amoureux de certains animaux de compagnie, même parlant, c’est au-delà de la stupidité, méfiez-vous ! Ces animaux domestiques sont devenus récemment de plus en plus intelligents et manipulateurs. « Je pense qu’il n’y a pas de limite à ce qu’un ordinateur peut faire », déclare Peter Norvig, responsable en IA chez Google. « C’est difficile de parier contre ça. Ils continuent à s’améliorer. Je pense qu’ils seront éventuellement en mesure d’agir tout comme ils tombent amoureux. » À cela je réponds ceci : il y a des limites à ce que les ordinateurs peuvent faire. Ils ne peuvent pas fonctionner sans électricité. Et Click !

Si tout cela ressemble à un scénario de cauchemar, alors vous avez probablement raison. Et je suggère un moyen d’essayer de l’éviter : réactivez votre système d’identification amis-ou-ennemis. Mais ne le basez pas sur l’accent ; basez le sur la grammaire. Faites attention aux signaux de genre et d’animation. Si l’alarme sonne, vous pourriez parler à un sexbot.

Dmitry Orlov

Les cinq stades de l'effondrement

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

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