mardi 7 novembre 2017

Pare-feu en feu

Article original de Dmitry Orlov, publié le 31 octobre 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

 

Le concept d’un pare-feu est utile : s’il y a une chance réelle que quelque chose d’inflammable s’enflamme et que vous êtes à côté, c’est une excellente idée de mettre un mur de matériaux ignifugés entre vous et lui. Les automobiles, par exemple, contiennent les ingrédients essentiels d’un explosif, du carburant sous pression, des étincelles électriques, des collecteurs d’échappement chauffés au rouge et des humains. Mettre un pare-feu entre le moteur de la voiture et les humains derrière semble être une bonne idée.

 
Selon la National Fire Protection Association, pendant la période 2003-2007 [aux États-Unis], les 267 600 véhicules en feu signalés sur les autoroutes chaque année ont causé en moyenne 441 morts civils, 1 326 brûlés et 1 milliard de dollars de dommages directs aux biens. En moyenne, 31 incendies de véhicules routiers ont été signalés par heure. Ces incendies ont tué une personne par jour. Dans l’ensemble, 17% des incendies déclarés aux États-Unis, 12% des morts brûlés vifs, 8% des grands brûlés et 9% des dommages directs ont été causés par des incendies signalés de véhicules routiers. Cela peut nous amener à penser que les pare-feux intégrés dans les voitures ne sont pas efficaces à plus de 67% ; mais cependant, ils semblent être encore une bonne idée.

Une fois, je me suis retrouvé avec une voiture d’occasion, un break Chrysler généralement increvable, qui avait été bricolé par un mécanicien automobile du Moyen-Orient qui aimait apparemment tuer des gens, de préférence par le feu. Quel que soit le matériau fourré à l’origine entre les deux cloisons en tôle qui composait le pare-feu (amiante?), il était parti depuis longtemps, et il l’a remplacé par… des aiguilles de pin ! Cela fonctionnait bien tant que les aiguilles étaient fraîches et humides – le moteur était silencieux et l’intérieur était frais, mais une fois qu’elles se furent desséchées, le rugissement du moteur a commencé à me faire mal aux oreilles et mes pieds sont devenus douloureusement chauds. J’ai quand même utilisé cette voiture pendant un certain temps – pour transporter du matériel de ponçage de planchers – puis je l’ai échangée contre une vieille Fiat rouillée qu’un de mes amis a plus tard réussi à plier en deux – mais c’est une autre histoire. Le gars avec qui je l’ai échangée me l’a ensuite déposée dans mon allée, avec la transmission bloquée. Les roues arrière ne tournaient plus, comment a-t-il bien pu faire cela ? Le remorqueur qui l’a ensuite transportée vers une casse dépotoir m’a ensuite dit de ne plus le rappeler.

Il y a donc deux lectures possibles pour le terme « pare-feu » : une métaphorique, via une élision – un mur de protection contre l’incendie, et une littérale – c’est en feu ; c’est un mur [Firewall en anglais soit feu mur, NdT]. C’est un mur en feu. La distinction est utile pour ceux qui aiment tuer les gens avec le feu. La plupart des gens ne sont pas versés dans les subtilités de la sémantique et de telles distinctions subtiles sont perdues pour eux. Quand quelqu’un dans un costume cher avec des dents blanches brillantes, une poignée de main ferme et un regard fixe vous dit que « Ouais, c’est un pare-feu », cela vous rassure à priori plutôt que de vous faire peur.

Sentiments mis à part, l’expression « être en sécurité » a aussi un double sens : cela peut signifier à la fois « protégé » et « non menacé ». Ainsi, les troupes américaines qui combattent en Syrie, en Irak, en Afghanistan et dans de nombreux autres pays du monde, vous gardent en sécurité, protégés des ennemis étrangers, tout en maintenant ces ennemis étrangers loin des intérêts américains, incapables de les menacer. La police à l’intérieur des États-Unis est également censée protéger les gens contre les criminels et les terroristes. Et il est censé y avoir un pare-feu entre eux : la police est censée maintenir la paix, ne pas transformer la « patrie » en zone de guerre. Il convient de noter qu’environ les trois quarts des victimes des récentes opérations militaires américaines à Mossoul, en Irak, et à Raqqa, en Syrie, étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées – des dizaines et des centaines de milliers de personnes – toutes non armées et non menaçantes. Théoriquement, ce genre de chose n’est pas censé se produire à l’intérieur de la « patrie ».

Mais si vous regardez attentivement, ce pare-feu est plus un « mur en feu » – un mur qui est en feu. La police est munie d’armes militaires, notamment des véhicules blindés, des mitrailleuses lourdes et des mortiers [et des hélicoptères de combat, NdT]. Et elle tire pour tuer suite à une provocation minimale, tout comme les soldats le font dans une zone de guerre. (Beaucoup de personnes sourdes se font tirer dessus simplement parce qu’elles ne suivent pas les ordres que la police leur a crié.)

Pourquoi ce « mur en feu » est-il précisément en feu ? Il suffit de regarder ! Les soldats reviennent de leurs missions au cours desquelles ils tuent de nombreux civils non armés, y compris beaucoup de femmes et d’enfants. Un bon nombre d’entre eux ont un TSPT et développent des bizarreries amusantes, comme une propension à étouffer leurs conjoints endormis pendant des attaques de panique nocturnes. Bon nombre d’entre eux ont aussi des lésions cérébrales permanentes causées par des ondes de choc, qui les rendent inaptes à servir dans n’importe quelle activité où le risque de blessure est supérieur à celui d’une coupure avec du papier. Mais ce qu’ils font souvent à leur retour, c’est de rejoindre la police locale et les services d’incendie ou de travailler dans la sécurité privée. Ce pare-feu n’est pas seulement en feu – il a une porte tambour intégrée !

Mais la plupart des gens ne connaissent pas les subtilités de la sémantique et quand quelqu’un dans un costume coûteux avec des dents blanches brillantes, une poignée de main ferme et un regard fixe leur dit que « Ouais, nous sommes là pour vous garder en sécurité », ils se sentent protégés plutôt que de se sentir ciblés pour une désactivation instantanée.

Il y a beaucoup d’autres pare-feux qui sont en feu ou prêts à s’enflammer :

1. Il est censé y avoir un pare-feu entre les banquiers et les voleurs de banque. Et pourtant, si vous avez regardé les événements autour de l’effondrement financier de 2008 et par la suite, il était évident que les « banksters » à la fois dirigeaient les banques et volaient les banques – leurs clients et le gouvernement. Ils ont utilisé la crise comme une occasion de se mettre en position de menacer l’intégralité de la finance mondiale d’une destruction instantanée si leurs conditions n’étaient pas remplies.

2. Il y avait autrefois un pare-feu entre les médecins et les compagnies pharmaceutiques : les compagnies pharmaceutiques fournissaient les médicaments et les médecins les prescrivaient dans l’intérêt de leurs patients. Mais ce pare-feu a disparu : les médecins reçoivent régulièrement une grande variété d’incitations de la part des compagnies pharmaceutiques pour simplement pousser les médicaments vers leurs patients. Un des résultat est que des millions de personnes ont été rendues dépendantes à l’héroïne : les médecins les rendent accros et alors, une fois les prescriptions épuisées, les toxicomanes se tournent vers l’héroïne la moins chère. À ce propos…

3. Il y avait autrefois un pare-feu entre le gouvernement (qui appliquait les lois anti-drogues) et les trafiquants de drogue (qui les violaient). Maintenant, le gouvernement américain est le plus grand trafiquant de drogue de tous, supervisant la production de la plus grande partie de l’héroïne mondiale dans le cadre de son occupation de l’Afghanistan. À la suite de ses efforts, 10% des Afghans sont maintenant des toxicomanes. Cette activité est très rentable et présente l’avantage supplémentaire de décimer la population américaine par des surdoses de drogue, évitant ainsi de devoir trouver des moyens de l’employer.

4. Il y avait autrefois un pare-feu entre les terroristes et ceux qui étaient chargés de la lutte contre le terrorisme, mais ce n’est plus le cas. ISIS – qui, heureusement, est proche d’être éliminé en Syrie et en Irak, mais surgit déjà dans d’autres endroits – était en grande partie une création américaine et doté d’armes américaines. Les organisations terroristes en Afghanistan et dans beaucoup d’autres endroits sont approvisionnées par des bases militaires américaines. Les attentats terroristes sur le sol américain ont une étrange tendance à être perpétrés par des auteurs connus du FBI et sont souvent spécialement coachés pour l’attaque par des agents du FBI. Pendant ce temps, en Ukraine (qui est maintenant un protectorat américain), une « opération antiterroriste » est en cours, dans laquelle des troupes ukrainiennes « terroristes » bombardent des quartiers résidentiels où habitent apparemment des civils « antiterroristes ».

5. Il y avait un pare-feu entre le gouvernement américain et les autres gouvernements. Les agents d’autres gouvernements ne pouvaient pas simplement passer la porte d’entrée et dire au gouvernement américain ce qu’il devait faire. Mais il s’avère maintenant que les faveurs du gouvernement américain ont été mises aux enchères de toutes sortes de manières : des donations politiques louches et des pots de vin directs ont envahi le monde entier, faisant de l’idée du principe que le gouvernement sert son peuple une plaisanterie. Un cas particulièrement flagrant est celui d’Israël : il est souvent difficile de voir beaucoup de différences entre les politiques américaines et israéliennes dont Israël contrôle l’agenda. Ceux qui en parlent trop sont accusés d’antisémitisme. (Le terme « sémitisme » est curieux : ni un terme racial, ni un terme ethnographique, il se rapporte à un personnage mythique nommé Sem qui, selon la légende, a vécu quelque temps après les six jours du créationniste Yahvé.)

6. Peut-être le plus important, il y avait un pare-feu entre un ami et un ennemi. Tirer contre votre propre camp, appelé de manière comique « tir ami  », a pour habitude d’être considéré comme une mauvaise chose. Mais les alliés des États-Unis dans le monde entier, amis que les États-Unis sont censés garder « en sécurité », ont été plutôt lents à remarquer laquelle des deux significations de « sécurité » était en jeu, mais ils sont maintenant bien réveillés et en ont pris note. C’est pourquoi la Turquie et l’Arabie saoudite négocient actuellement l’achat de systèmes de défense aérienne S-400 russes. Vous voyez, les armes qu’ils ont achetées aux États-Unis ont des systèmes intégrés d’identification amis ou ennemis qui les empêchent de tirer sur les avions et les missiles américains, les rendant inutilisables au cas où les États-Unis décideraient de mettre ces pays en sécurité comme dans inoffensif. Mais les systèmes russes disent simplement « Cible acquise ; que veux-tu faire avec ça ? » permettant à ces pays de se sentir vraiment en sécurité comme dans protégé.

Avec tous ces pare-feux en feu, on peut dire que les États-Unis sont en guerre avec tout le monde, à la fois avec eux-mêmes et avec le monde entier. Et avec cela, il ne reste plus qu’un seul pare-feu qui n’est pas en feu : celui qui se trouve aux États-Unis et qui sépare ceux qui donnent des ordres de ceux qui les suivent. Une fois que ce dernier pare-feu prendra feu, ceux qui émettent les ordres seront « en sécurité », comme dans « complètement cuits ».

Les cinq stades de l'effondrement 

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire