mardi 13 mars 2018

La RAND Corporation établit un lien entre l’armée américaine et la guerre hybride

Article original de Andrew Korybko, publié le 27 février 2018 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Flagstone accents at the new headquarters for RAND Corporation. 

Une étude récente de la RAND Corporation sur « la présence des États-Unis et son incidence sur les conflits » aurait prouvé qu’il existe une corrélation scientifiquement vérifiable entre l’armée américaine et certains types de conflits.

Comme presque tout ce qui sort d’un think tank financé par le gouvernement américain, les résultats ne rejettent pas directement la faute de la déstabilisation d’autres pays sur l’Amérique, mais ils sont assez précis pour prouver un lien clair entre l’armée américaine et les guerres hybrides sans bien sûr présenter cette relation sous un jour négatif ou en laissant entendre que le Pentagone en est responsable.



Sputnik a passé en revue un livre récemment publié par la RAND Corporation dans un article intitulé « L’aide militaire américaine augmente les chances de guerre civile et de répression par les États concernés » qui rapportait que l’étude du think tank sur « La présence des USA et l’incidence sur les conflits » aurait prouvé qu’il existe une corrélation scientifiquement vérifiable entre l’armée américaine et certains types de conflits. En parcourant le long document de 152 pages, c’est effectivement le cas, mais les détails plus fins révélés dans les conclusions du projet méritent d’être abordés plus en profondeur. Les lecteurs qui n’ont pas le temps de consulter le document original pourront trouver plus facile de lire directement le résumé de cette recherche qui tient sur deux pages, mais ils ne pourront pas encore obtenir la vision complète du propos.

Cela dit, les personnes intéressées devraient commencer par porter leur attention sur le chapitre 4, qui se concentre sur « l’évaluation empirique de la présence des troupes américaines et de leur comportement dans les conflits inter-étatiques ». C’est ce que les chercheurs ont conclu sur le sujet après avoir effectué une analyse statistique complexe en utilisant leur méthodologie unique :
  • La présence des troupes américaines à proximité d’États étant de potentielles cibles est associée à une probabilité moindre de guerre inter-étatique.
  • La présence des troupes américaines à proximité d’États étant de potentiels déclencheurs est associée à une probabilité moindre de guerre inter-étatique.
  • La présence de troupes américaines dans des États étant de potentielles cibles est associée à une plus grande probabilité de comportement militarisé de faible intensité.
  • La présence de troupes américaines à proximité d’États étant de potentiels déclencheurs est associée à une plus grande probabilité de comportement militarisé de faible intensité.
  • La présence des troupes américaines dans les États cibles est associée à une plus grande probabilité qu’un adversaire potentiel américain déclenchera un comportement militarisé à haute intensité.
  • La présence des troupes américaines à proximité est associée à une moindre probabilité de comportement militarisé de haute et de basse intensité par les alliés des États-Unis.
  • La présence des troupes américaines est associée à une plus grande probabilité que les États-Unis amorcent un comportement militarisé de haute et de basse intensité.

US military bases abroad
Bases militaires américaines à l’étranger
Fondamentalement, alors que la présence des troupes américaines semble dissuader l’apparition de guerres internationales, elle contribue en fait à « une plus grande probabilité d’un comportement militarisé de faible intensité » ce qui n’est qu’un euphémisme pour parler de guerre hybride. L’auteur décrit ce que cela implique dans son livre sur ce vaste sujet et dans des séries subséquentes décrites en plusieurs volumes relatant plus de 45 études de pays dont les scénarios pourraient être avancés afin de perturber, contrôler ou influencer les projets de la Route de la Soie chinoise par l’exploitation d’identités préexistantes comme variables dans des conflits dans les états ciblés. En ce qui concerne l’étude de la RAND corporation, il existe une relation évidente entre la présence de troupes américaines dans les états proxy « dirigés dans l’ombre » et une éclosion de guerre hybride sur ces théâtres. L’organisation présente bien sûr cela comme n’étant aucunement lié à la politique des États-Unis, mais plutôt comme une réaction à ce que l’on appelle un « potentiel adversaire américain » en fait visé depuis le début.


De toute façon et peu importe qui l’a initié (ou comme c’est probablement le cas, si l’État ciblé se défend pro-activement après avoir été provoqué, éventuellement par un raid sous faux drapeau par des « rebelles »/terroristes au sein de ses frontières), le plus souvent, la présence de troupes américaines à proximité est néanmoins une catégorie de conflit bien décrite selon le modèle de guerre hybride de l’auteur.

En regardant plus loin, on peut trouver des éléments similaires dans le chapitre 6 de l’étude de la RAND corporation sur l’« évaluation empirique de la présence américaine et du comportement des conflits intra-étatiques » qui approfondit les nuances de la guerre hybride à l’intérieur des États qui accueillent des troupes américaines ou reçoivent une assistance militaire du Pentagone. Voici ce qu’ils prétendent avoir découvert :
  • La présence des troupes américaines n’est pas associée à une répression accrue de la part de l’État.
  • L’aide militaire des États-Unis est associée à une répression accrue de la part de l’État.
  • La présence des troupes américaines n’est pas associée à la probabilité d’activités anti-régime.
  • L’aide militaire des États-Unis était associée à l’intensification des campagnes anti-régime pendant la guerre froide.
  • La présence des troupes américaines était associée à des conflits moins intenses pendant la guerre froide et plus encore pendant la période de l’après-guerre froide.
  • L’aide militaire des États-Unis était associée à l’intensification de conflits armés inter-étatiques pendant la guerre froide.
La première chose à remarquer est qu’il y a une distinction claire entre troupes américaines et assistance militaire, ainsi qu’entre guerre froide et après-guerre froide. Selon les 10 personnes impliquées dans la rédaction de ce rapport, la présence des troupes américaines ne fait généralement pas la différence d’une quelconque manière selon que le gouvernement hôte recoure à des mesures musclées pour faire face à l’agitation ou non, ni si cela a un effet apparent sur le fait de provoquer la montée en puissance des mouvements anti-gouvernementaux dans ces pays. De nos jours, cependant, le déploiement des forces américaines à l’étranger est lié plus à des conflits inter-étatiques dans cette période post guerre froide qu’avant, bien que cela puisse être dû au fait que la Global War on Terror du Pentagone se concentre sur les pays du Sud global ou tiers-monde, pays se trouvant être, par coïncidence ou non, des états de transit le long des réseaux de la Route de la Soie chinois (alias les cibles principales de la Guerre Hybride).

Cependant, l’aide militaire américaine a un effet tout à fait différent sur le champ de bataille. Le rapport indique qu’elle augmente actuellement en fonction de ce que les rapporteurs appellent la « répression d’État » dans les pays récipiendaires. À l’époque de la guerre froide, cette aide était vraisemblablement destinée à prévenir les insurrections communistes ou à y répondre, mais elle semble avoir eu un effet circulaire en alimentant ces conflits. L’analyse statistique ne tient curieusement pas compte de ce qui se passe dans le présent, bien qu’elle admette que cela mène à plus de « répression d’État ». La raison en est probablement que les technologies militaires et de surveillance sont comparativement relativement plus avancées aujourd’hui et elles sont beaucoup plus efficaces pour détecter les « menaces » par avance et les éliminer de manière proactive, même si ces menaces ne sont pas nécessairement les « terroristes » comme les gouvernements alliés des États-Unis ont tendance à les qualifier.

En dépit de la reconnaissance de cette possibilité, il ne faut pas négliger le fait de l’antépénultième découverte que « la présence de troupes US associée avec moins de conflit inter-étatique pendant la guerre froide et plus encore dans la période de l’après-guerre froide » n’est pas entièrement corrélable. Là où le Pentagone choisit de se déployer, en réaction à une explosion de terrorisme dans une situation donnée, la situation était préparée à l’avance pour se produire grâce aux efforts de la CIA et d’autres agences de renseignement dont les activités ne sont pas incluses dans l’analyse de la RAND Corporation. En conséquence, les critères qu’ils utilisent pour définir les « conflits inter-étatiques » devraient également être examinés, car ils définissent cela dans le contexte de leur étude comme étant « des campagnes anti-régime dans lesquelles les groupes d’opposition nationaux mènent une campagne coordonnée et soutenue pour atteindre des objectifs maximalistes contre le régime en place. Ces groupes ont une structure organisationnelle claire, et ils incluent au moins 1000 participants ». On parle aussi de « guerres civiles à grande échelle ».

Tandis que la RAND Corporation clarifie d’une manière importante que leur définition inclut en effet « les campagnes qui emploient des tactiques non-violentes (…) puisque même les mouvements non-violents peuvent se radicaliser ou amorcer des escalades vers des tactiques plus violentes » elle fait bien une allusion claire aux révolutions de couleur et leur prédisposition aux guerres non conventionnelles conformément à la théorie de la guerre hybride de l’auteur. Cela empêche encore l’étude d’incorporer certains niveaux de terrorisme moderne qui tombent en dessous de leur seuil stipulé de ce qu’est un « conflit inter-étatique ». La pertinence de cette analyse est que les conclusions du groupe de réflexion peuvent être fondamentalement erronées et donc (délibérément ou non) dépeindre une image inexacte de la relation entre l’assistance militaire américaine et les conflits armés inter-étatiques dans la période de l’après-guerre froide, la soi-disant « guerre mondiale contre le terrorisme » cachant ainsi la véritable relation du Pentagone avec les guerres hybrides provoquées pour affaiblir les projets de Routes de la Soie.

En tout cas, malgré ses possibles défauts et ses limites académiques (pour ne rien dire de la culture du « politiquement correct » pro-establishment qui imprègne de telles institutions), l’étude de la RAND Corporation est encore un document perspicace qui prouve par inadvertance qu’il existe une corrélation entre l’armée américaine et la guerre hybride. Comme le dit le proverbe, « la corrélation ne prouve pas la causalité » et bien que cela soit « techniquement » vrai dans le contexte « scientifique » confiné de la recherche, les observateurs objectifs devraient néanmoins tirer de ce rapport l’idée que cela équivaut à un autre élément de preuve pour établir l’argument selon lequel une telle relation existe bel et bien. Quand les conclusions de ce rapport sont incorporées dans d’autres analyses comme celles de l’auteur dans cet article, la conclusion pertinente est qu’il existe des raisons statistiques de soupçonner l’implication de l’armée américaine dans les guerres hybrides où elle est accusée de complicité.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

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