samedi 11 mars 2017

Oups ! L’économie est comme une voiture autonome

Article original de Gail Tverberg, publié le 20 Février 2016 sur le site http://ourfiniteworld.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

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En 1776, Adam Smith a parlé de la « main invisible » de l’économie. Investopedia explique comment fonctionne la main invisible : « Dans une économie de marché libre, les individus intéressés opèrent par un système d’interdépendance mutuelle pour promouvoir le bénéfice général de la société dans son ensemble. »

Nous parlons et agissons aujourd’hui comme si les gouvernements et la politique économique sont ce qui fait que l’économie se comporte comme elle le fait. Malheureusement, Adam Smith avait raison : il y a une main invisible qui guide l’économie. Aujourd’hui, nous savons qu’il existe une raison physique pour expliquer pourquoi l’économie agit comme elle le fait : l’économie est une structure dissipative – dont nous parlerons plus tard. Tout d’abord, parlons de l’efficacité de l’économie.


Notre économie est comme une voiture autonome : les salaires des travailleurs en dehors des élites en sont le moteur.

Les travailleurs fabriquent des biens et fournissent des services. Les travailleurs non élitistes, c’est-à-dire les travailleurs sans formation avancée ou sans responsabilités de surveillance, jouent un rôle particulier, car ils sont nombreux. L’économie peut croître (comme une voiture autonome peut avancer) 1) si les travailleurs peuvent produire une quantité croissante de biens et de services chaque année, et 2) si les travailleurs non élitistes peuvent se permettre d’acheter les biens produits. Si ces travailleurs trouvent moins d’emplois disponibles ou s’ils ne sont pas payés suffisamment, c’est comme si le moteur de la voiture autonome ne fonctionnait plus. La voiture pourrait tout aussi bien tomber en mille morceaux dans l’allée.

Si les salaires des travailleurs non élitistes sont trop bas, ils ne peuvent pas se permettre de payer beaucoup d’impôts, de sorte que les gouvernements sont touchés. Ils ne peuvent pas se permettre d’acheter des biens d’équipement tels que des véhicules et des maisons. Ainsi, les salaires déprimés des travailleurs non élitistes affectent négativement les entreprises et les gouvernements. Si ces travailleurs non élitistes reçoivent un salaire satisfaisant, la « boucle produit / achète » est fermée : les personnes dont le travail crée des biens et services assez ordinaires peuvent aussi se permettre d’acheter ces biens et services.
Besoins récurrents de la voiture / de l’économie

L’économie, comme une voiture, a des besoins récurrents, analogues aux paiements mensuels d’un bail, aux paiements des assurances et des coûts d’entretien. Il s’agit notamment des paiements pour divers services d’entretien, y compris les suivants :
  • Programmes gouvernementaux, y compris les paiements aux personnes âgées et aux chômeurs ;
  • Programmes d’enseignement supérieur ;
  • Soins de santé.
Inutile de dire que les services susmentionnés tendent à maintenir la hausse des coûts, que les salaires des travailleurs non élitistes continuent d’augmenter ou non pour faire face à ces coûts.

L’économie a également besoin d’acheter un volant de biens sur une base très régulière (hebdomadaire ou mensuelle) sinon elle ne peut pas fonctionner. Ceux-ci incluent :
  • De l’eau fraîche ;
  • Des aliments de différents types, y compris des légumes, des fruits et des céréales ;
  • Des produits énergétiques de nombreux types tels que le pétrole, le charbon, le gaz naturel et l’uranium. Ces besoins comprennent de nombreux sous-types adaptés à des raffineries particulières ou à des centrales électriques ;
  • Des minerais de nombreux types, y compris le cuivre, le fer, le lithium et bien d’autres.
Certains de ces biens sont nécessaires directement aux travailleurs dans l’économie. D’autres biens sont nécessaires pour fabriquer et exploiter les « outils » utilisés par les travailleurs. C’est l’utilisation croissante d’outils qui permet aux travailleurs de continuer à devenir plus productifs – produire la quantité croissante de biens et de services nécessaire pour maintenir l’économie en croissance. La disponibilité de ces outils n’est possible que par l’utilisation de produits énergétiques et d’autres minéraux de toutes sortes.

J’ai assimilé la nécessaire liste de biens dont l’économie a besoin comme ingrédients de sa recette, ou de produits chimiques nécessaires à une expérience particulière. Si l’un des « ingrédients » n’est pas disponible − probablement à cause des prix trop élevés pour les consommateurs ou trop bas pour les producteurs − l’économie doit « faire une fournée plus petite ». Nous avons vu cela se produire lors de la Grande Récession de 2007 à 2009. La figure 1 montre que l’utilisation de plusieurs types de produits énergétiques, plus l’acier brut, a reculé en même temps. En fait, la tendance récente autour du charbon et de l’acier brut suggère qu’une autre contraction est peut être à venir.
Figure 1. World Product Consumption, indexed to the year 2000, for selected products. Raw Steel based on World USGS data; other amounts based of BP Statistical Review of World Energy 2016 data.
Figure 1. Consommation mondiale de produits manufacturés, indexée sur l’année 2000, pour les produits sélectionnés. Raw Steel basé sur les données mondiales USGS; Autres montants basés sur les données de BP Statistical Review of World Energy 2016.

L’économie ré-optimise quand les choses tournent mal

Si vous avez un GPS dans votre voiture pour vous indiquer des itinéraires, vous savez que chaque fois que vous faites une erreur de parcours, celui-ci recalcule un nouvel itinéraire et vous donne de nouvelles orientations pour vous ramener sur le bon chemin. L’économie fonctionne de la même façon. Voyons un exemple.
Si on revient au début de 2014, j’avais montré ce graphique d’une présentation donnée par Steve Kopits. Il montre que le coût de l’extraction de pétrole et de gaz a soudainement commencé à avoir une tendance à la hausse vers l’année 1999. Au lieu de voir les coûts augmenter de 0,9% par an, les coûts ont soudainement commencé à augmenter en moyenne de 10,9% par an.
Figure 1. Figure by Steve Kopits of Westwood Douglas showing trends in world oil exploration and production costs per barrel. CAGR is "Compound Annual Growth Rate."
Figure 2. Figure par Steve Kopits de Westwood Douglas montrant les tendances de l’exploration pétrolière mondiale et les coûts de production par baril. Le TCAC est le « taux de croissance annuel composé ».

Lorsque les coûts augmentaient de seulement 0,9% par an, il était relativement facile pour les producteurs de pétrole de compenser ces augmentations par des gains d’efficacité. Une fois que les coûts ont commencé à augmenter beaucoup plus rapidement, ce fut un signe que nous avions dans un certain sens « vidé » la liste des nouveaux champs de pétrole et de gaz faciles à extraire. Au lieu de cela, les compagnies pétrolières ont été obligées de commencer à accéder aux champs où le pétrole et le gaz est beaucoup plus cher à produire, quand elles ont voulu remplacer les champs s’appauvrissant par ces nouveaux champs. Il y a eu rapidement un décalage entre les salaires (qui n’augmentent généralement pas beaucoup) et le coût des biens fabriqués à l’aide du pétrole, comme les produits alimentaires à base de produits pétroliers.

Est-ce que la main invisible est restée neutre et a laissé agir comme d’habitude, en dépit de cette augmentation importante du coût de l’extraction du pétrole de ces nouveaux champs ? Je dirais que ce n’est pas le cas. Il était clair pour les gens dans ce business dans le monde entier qu’il y avait une grande quantité de charbon en Chine et en Inde qui avait été ignorée parce que ces pays n’étaient pas encore industrialisés. Ce charbon a pu fournir une source d’énergie beaucoup moins coûteuse que le pétrole, surtout si le coût du pétrole a semblé augmenter. En outre, les salaires dans ces pays étaient également plus faibles.
L’économie a profité de l’occasion pour se ré-optimiser. Une partie de cette ré-optimisation peut être vue dans la figure 1, montrée plus tôt dans cet article. Il montre que l’offre mondiale de charbon a augmenté rapidement depuis 2000, alors que l’offre de pétrole a progressé très lentement.

La figure 3 ci-dessous montre un changement différent : un changement dans la façon dont les approvisionnements en pétrole ont été distribués, après 2000. Nous voyons que la Chine, l’Arabie saoudite et l’Inde sont tous des exemples de pays avec de fortes augmentations de leur consommation de pétrole. En même temps, beaucoup de pays développés ont vu leur consommation de pétrole diminuer, plutôt que croître.
Figure 2. Figure showing oil consumption growth since 2000 for selected countries, based on data from BP Statistical Review of World Energy 2016.
Figure 3. Figure montrant la croissance de la consommation de pétrole depuis 2000 pour certains pays, d’après les données de BP Statistical Review of World Energy 2016.

Une personne pourrait se demander pourquoi l’utilisation du pétrole en Arabie saoudite augmenterait rapidement après l’an 2000. La réponse est simple : les coûts pétroliers de l’Arabie saoudite sont ses coûts en tant que producteur. L’Arabie saoudite a beaucoup de puits très anciens dont l’extraction du pétrole est peu coûteuse – peut-être 15 $ le baril. Lorsque les prix du pétrole sont élevés et que le coût de production est faible, le gouvernement d’un pays exportateur de pétrole recueille une somme énorme de taxes. L’Arabie saoudite se trouvait dans une telle situation. En conséquence, ce pays pouvait se permettre d’utiliser le pétrole à de nombreuses fins, y compris la production d’électricité et l’augmentation de la construction des routes [ou encore pour l’air conditionné, NdT]. Ce n’était pas un importateur de pétrole, ainsi les prix élevés du pétrole du monde n’ont pas affecté le pays négativement.

La hausse rapide de la production pétrolière en Chine a pu  avoir lieu parce que même avec une consommation de pétrole additionnelle, son coût global de production de biens restait faible en raison de la part importante du charbon dans son mix énergétique et de ses bas salaires. La part énorme du charbon dans le mix énergétique de la Chine est illustrée à la figure 4 ci-dessous. La figure 4 montre également la croissance extrêmement rapide de la consommation d’énergie de la Chine qui a eu lieu une fois que celle-ci a rejoint l’Organisation mondiale du commerce à la fin de 2001.
Figure 3. China energy consumption by fuel, based on BP 2016 SRWE.
Figure 4. Consommation d’énergie de la Chine par le carburant basée sur BP 2016 Revue statistique de l’énergie mondiale.

L’Inde se trouvait dans une situation similaire à celle de la Chine, car elle a pu également construire son économie sur du charbon et une main-d’œuvre bon marché.

Lorsque l’économie se ré-optimise elle-même, les profils d’emplois sont également affectés. La figure 5 montre l’évolution du taux de participation à la population active aux États-Unis :
Figure 4. US Civilian labor force participation rate, based on US Bureau of Labor Statistics data, as graphed by fred.stlouisfed.org.
Figure 5. Taux de participation des travailleurs civils aux États-Unis, basé sur les données du Bureau des statistiques du travail des États-Unis, telles que publiées par fred.stlouisfed.org.

Est-ce simplement une coïncidence que le taux d’activité des États-Unis a commencé à tomber vers l’an 2000 ? Je ne le crois pas. Le déplacement de la consommation d’énergie vers des pays comme la Chine et l’Inde, à mesure que les prix du pétrole augmentait, a pu réduire la disponibilité des emplois aux États-Unis. Je connais plusieurs personnes qui ont été licenciées de l’entreprise pour laquelle je travaillais, car leurs emplois (en informatique) avaient été transférés à l’étranger. Ces gens n’ont pas été seuls à voir leurs emplois délocalisés à l’étranger.

L’économie mondiale est comme une voiture qui ne peut pas faire de virages serrés

L’économie mondiale ne peut pas faire de virages très serrés, car il y a un délai incompressible pour opérer des changements de cap. Il faut construire de nouvelles usines. Pour que ces usines soient utilisées suffisamment pour avoir un sens économique, elles doivent être utilisées sur une longue période.

En même temps, les produits que nous désirons rendre plus efficaces énergétiquement, par exemple les automobiles, les maisons et les centrales électriques, ne sont pas remplacés très souvent. En raison de la courte durée de vie des ampoules à incandescence, il est possible de forcer un changement assez rapide vers des types plus efficaces. Mais il est beaucoup plus difficile d’encourager un changement rapide de biens à coût élevé, qui sont généralement utilisés pendant de nombreuses années. Si un propriétaire de voiture a un gros prêt en suspens, le propriétaire ne veut pas entendre que sa voiture n’a plus aucune valeur. Comment pourrait-il se permettre d’acheter une nouvelle voiture, ou de rembourser son prêt ?

Une limite majeure pour entreprendre un changement de cap est la quantité de ressources d’un type donné, disponible dans une année donnée. Ces montants tendent à changer relativement lentement d’une année sur l’autre. (voir figure 1). Si plus de lithium, de cuivre, de pétrole ou de tout autre type de ressource est nécessaire, de nouvelles mines sont nécessaires. Il faut indiquer aux producteurs que le prix de ces produits demeurera suffisamment élevé, pendant une période assez longue, pour que cet investissement en vaille la peine. Les prix bas sont un problème pour de nombreux produits de base aujourd’hui. En fait, la production de nombreux produits pourrait très bien chuter dans un proche avenir, en raison de la poursuite des prix bas. Cela effondrerait l’économie.

L’économie mondiale ne peut pas faire marche arrière très longtemps sans s’effondrer

La récession de 2007-2009 est un bon exemple de tentative de recul de l’économie (voir figure 1). Elle n’a pas été très loin en marche arrière, mais même ce petit recul a été un problème énorme. Beaucoup de gens ont perdu leur emploi, ou ont été forcés de subir des réductions de salaire. L’un des grands problèmes avec le recul est le montant élevé de la dette en circulation. Cette dette devient impossible à rembourser lorsque l’économie essaie de rétrécir. Les prix des actifs ont tendance à baisser aussi.

En outre, bien que les approches antérieures, comme l’utilisation de chevaux au lieu de voitures, puisse être attrayante, elles sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre dans la pratique. Il y a beaucoup moins de chevaux maintenant, et il n’y aurait pas de places pour « garer » les chevaux dans les villes. Le nettoyage après les chevaux serait un problème, sans entreprises spécialisées dans la gestion de ce problème.

Qu’est ce que les leaders politiques mondiaux peuvent faire pour (en quelque sorte) réparer l’économie ?

Il y a essentiellement deux choses que les gouvernements peuvent faire pour essayer de rendre l’économie (ou la voiture) plus rapide :
  1. Ils peuvent encourager l’accroissement de la dette. Cela se fait de plusieurs façons, notamment en réduisant les taux d’intérêt, en réduisant la réglementation bancaire, en encourageant des normes de souscription plus réduites ou des prêts à plus long terme, en assumant eux-mêmes une dette plus grande, en garantissant la dette des entités non solvables et en trouvant de nouveaux débouchés pour « recycler cette dette ».
  2. Ils peuvent augmenter les niveaux de complexité. Cela signifie accroître la production de biens et de services grâce à l’utilisation de machines plus nombreuses et de meilleure qualité et grâce à une meilleure formation et spécialisation des travailleurs. Des entreprises plus complexes risquent d’entraîner davantage d’activités internationales et des chaînes d’approvisionnement plus longues.
Ces deux actions fonctionnent comme la sur-alimentation d’une voiture. Elles ont la possibilité de faire fonctionner l’économie plus rapidement, mais elles ont l’inconvénient d’un surcoût. Dans le cas de la dette, le coût est l’intérêt qui doit être payé ; il y a aussi le risque de « faire sauter la banque » si l’économie ralentit. Il y a aussi une limite à la façon dont les taux d’intérêt peuvent descendre et rester bas. En fin de compte, une partie de la production de l’économie doit aller aux détenteurs de dettes, ce qui en laisse moins pour les travailleurs.

Dans le cas de la complexité, le problème est qu’il y a une augmentation de la disparité salariale, lorsque certains salariés ont des salaires basés sur une formation spécialisée, tandis que d’autres n’en bénéficient pas. De plus, en ce qui concerne les biens d’équipement, certains individus sont propriétaires de biens d’équipement, tandis que d’autres ne le sont pas. L’arrangement crée une disparité de la richesse, en plus de la disparité de salaire.

En théorie, la dette et la complexité accrue peuvent aider l’économie à croître plus rapidement. Cependant, comme je l’ai dit au début, ce sont les salaires des travailleurs non élitistes qui sont particulièrement importants pour permettre à l’économie de continuer à avancer. Plus la part des revenus est élevée pour les salariés hautement qualifiés et pour les détenteurs d’obligations, moins elle l’est pour les travailleurs non élitistes. En outre, il y a des rendements décroissants à ajouter à la dette et la complexité. À un certain point, le coût de chacun de ces types de turbo-chargement dépasse le retour bénéfique du processus.

Pourquoi l’économie fonctionne-t-elle comme une voiture autonome ?

La raison pour laquelle l’économie agit comme une voiture autonome est que l’économie est, en terme physique, une structure dissipative. Elle se développe et se transforme « à elle seule » en utilisant les sources d’énergie disponibles. Le résultat est exactement le même que celui qu’Adam Smith observait. Ce qui fait que l’économie se comporte de cette façon, c’est le fait que les flux d’énergie sont à la disposition de l’économie. Cela se produit parce qu’une économie est un système ouvert, ce qui signifie que ses frontières sont perméables aux flux d’énergie.

Quand il y a une abondance d’énergie disponible et utilisable (soleil, ou combustion de combustibles fossiles, ou même nourriture), une variété de structures dissipatives s’auto-organise. On peut prendre l’exemple des ouragans, qui s’auto-organisent sur les océans chauds. Un autre exemple concerne les plantes et les animaux, qui s’auto-organisent et grandissent en partant d’une pousse modeste, si ils ont l’énergie alimentaire adéquate, plus d’autres nécessités de la vie. Les écosystèmes sont un autre exemple, composés d’un certain nombre de différents types de plantes et d’animaux, qui interagissent ensemble pour leur bien commun. Même les étoiles, y compris notre soleil, sont des structures dissipatives.

L’économie est encore un autre type de structure dissipative. C’est pourquoi Adam Smith a remarqué l’effet de la main invisible de l’économie. L’énergie qui soutient l’économie provient de diverses sources. Les humains ont pu obtenir de l’énergie en brûlant la biomasse pendant plus d’un million d’années. D’autres sources d’énergie à long terme incluent l’énergie solaire qui fournit de la chaleur et de la lumière aux jardins et l’énergie éolienne qui alimente les voiliers. Plus récemment, d’autres types d’énergies ont été ajoutés, y compris les énergies fossiles.

Lorsque l’approvisionnement en énergie est très bon marché et facile à obtenir, il est facile d’accroître leur utilisation. Avec l’augmentation de l’offre en énergie, il est possible de continuer à ajouter plus d’outils et de meilleurs qualité pour aider le travail des gens. J’utilise le terme vague d’« outils » à dessein. Outre les machines permettant une plus grande production, j’inclus des choses comme les routes et l’éducation avancée, qui sont également utiles pour rendre les travailleurs plus efficaces. L’utilisation des ressources énergétiques croissantes permet une utilisation croissante des outils, et cette utilisation croissante des outils accroît de plus en plus le travail humain. C’est pourquoi nous constatons une productivité croissante ; on peut s’attendre à une baisse de la productivité humaine si l’approvisionnement en énergie devait commencer à baisser. La chute de la productivité tendra à pousser l’économie vers l’effondrement.

Un des problème des économies est la diminution des rendements de l’extraction des ressources. Des rendements décroissants rendent l’économie de moins en moins efficace. Une fois que l’extraction d’énergie commence à avoir un problème important avec des rendements décroissants (comme dans la figure 2), c’est comme si on perdrait une partie des ressources énergétiques, comme une fuite. Il faut davantage de travail, sans avoir de production accrue en termes de biens et de services. Indirectement, la croissance économique doit en souffrir. Cela semble être le problème que l’économie a rencontré ces dernières années. Du point de vue de la main invisible, 100 $ par baril de pétrole est une situation très différente de celle à 20 $ par baril de pétrole.

Une caractéristique des structures dissipatives est qu’elles maintiennent la ré-optimisation pour un avantage global de la structure dissipative. Nous avons vu dans les Figures 3 et 4 comment la consommation de carburant et les emplois se rééquilibrent dans le monde. Un autre exemple de rééquilibrage est la façon dont l’économie utilise chaque partie d’un baril de pétrole. Si, par exemple, notre seul objectif était de maximiser le nombre de kilomètres parcourus pour les automobiles, il serait logique d’utiliser des voitures utilisant du carburant diesel plutôt que de l’essence. En fait, le mélange énergétique disponible pour l’économie comprend aussi un peu d’essence et du gaz naturel liquéfié. Si nous avons besoin d’utiliser ce qui est disponible, il est logique d’utiliser de l’essence dans les voitures particulières privées, et d’économiser le diesel pour une utilisation commerciale.

Une autre caractéristique des structures dissipatives est qu’elles ne sont pas permanentes. Elles grandissent pendant un certain temps, puis s’effondrent. Plus tard, de nouvelles structures dissipatives semblables peuvent se développer et remplacer indirectement celles qui se sont effondrées. De cette façon, le système global peut évoluer de manière à s’adapter aux conditions changeantes.
Quels sont les événements susceptibles de causer l’effondrement de l’économie ?
J’ai modélisé le système comme une voiture autonome. Ce qui maintient le fonctionnement du système, c’est la croissance continue des salaires ajustés en fonction de l’inflation des travailleurs non élitistes. Cette analogie a été choisie parce que dans les écosystèmes en général, le taux de retour énergétique sur le travail d’un animal est très important. L’effondrement d’une population de poissons, ou d’un autre animal, tend à se produire lorsque ce taux de retour énergétique sur le travail de cet animal tombe trop bas.

Dans le cas des poissons, le taux de retour sur le travail du poisson tombe trop bas lorsque les denrées alimentaires voisines disparaissent et que le poisson doit nager trop loin pour obtenir de nouvelles vivres. Le taux de retour sur le travail humain semblerait être le salaire corrigé de l’inflation des travailleurs non élitistes. Nous savons que les salaires de nombreux travailleurs ont diminué ces dernières années en raison de la concurrence de la mondialisation et du remplacement du travail humain par des machines de pointe, comme les ordinateurs et les robots.
Figure 6. Bottom 50% income share, from recent Piketty analysis.
Figure 6. Part du revenu des 50% les moins rémunérés, d’après l’analyse récente de Piketty.

Outre le problème de la chute des salaires des travailleurs non élitistes, j’ai mentionné précédemment un certain nombre d’autres questions qui rendent les salaires de ces travailleurs moins importants. Il s’agit notamment des dépenses croissantes du gouvernement et des coûts croissants de l’éducation et des soins de santé. J’ai également mentionné le problème de l’endettement croissant et de la concentration accrue de la richesse, comme nous essayons d’ajouter la complexité pour résoudre des problèmes. Toutes ces questions font qu’il est difficile pour la « demande » – qui pourrait aussi être appelée « demande abordable » – d’être suffisamment grande pour permettre aux prix des produits de remonter au niveau de rentabilité dont les producteurs ont besoin.

Les prix jouent un rôle très important dans l’économie

Le système de tarification est le système de communication de l’économie, en tant que structure dissipative. Une des utilisations de l’énergie est de créer des « informations ». Les prix sont une forme d’information de haut niveau.
Un des grands domaines où les prix sont importants est celui de l’ensemble du portefeuille de produits dont on a besoin une entreprise de façon régulière, comme je l’ai mentionné plus tôt (eau, aliments, produits énergétiques et minerais). Pour que le système continue de fonctionner, les prix doivent être à la fois :
  • Abordables pour les consommateurs ;
  • Suffisamment élevés pour permettre aux producteurs de couvrir leurs coûts, y compris une marge pour les impôts et le réinvestissement.
Maintenant, en 2017, les prix sont « en quelque sorte » abordables pour les consommateurs, mais ils ne sont pas assez élevés pour les producteurs. Les compagnies pétrolières cesseront leurs activités si ces bas prix persistent.
En 2007 et 2008, nous avons eu le problème inverse. Les prix étaient assez élevés pour les producteurs, mais trop élevés pour les consommateurs (en particulier les travailleurs non élitistes). C’est une grande partie de ce qui a poussé l’économie en récession.

Nous avons remarqué sur la Figure 1 que les quantités de produits / biens énergétiques ont tendance à se déplacer vers le haut et vers le bas ensemble. Un phénomène similaire est vrai pour les prix : les prix des matières premières ont tendance à augmenter et à chuter ensemble (figure 7). La raison en est que lorsque l’économie mondiale évolue rapidement (salaires plus élevés, plus d’activité de construction, plus d’endettement), la demande tend à être élevée pour de nombreux types de matériaux en même temps. Lorsque l’économie ralentit, les prix de tous ces produits tendent à baisser en même temps. L’inflation tend à baisser aussi.
Figure 6. Prices of oil, call and natural gas tend to rise and fall together. Prices based on 2016 Statistical Review of World Energy data.
Figure 7. Les prix du pétrole, du charbon et du gaz naturel tendent à monter et à baisser ensemble. Les prix sont basés sur les données 2016 de Statistical Review of World Energy.

Si les prix ne peuvent pas augmenter suffisamment pour les producteurs, c’est probablement un signe que les salaires des travailleurs non élitistes sont déjà trop bas. La boucle d’abordabilité mentionnée précédemment n’est pas fermée, de sorte que les prix ne peuvent pas rester à un niveau suffisamment élevé pour maintenir la production.

La plupart des modélistes négligent le fait que l’économie est un système ouvert
La plupart des modèles énergétiques sont basés sur l’une des deux vues du monde : 1) l’approvisionnement énergétique des combustibles fossiles va finalement s’interrompre, donc nous devons l’utiliser aussi peu que possible ; ou 2) nous voulons réduire l’utilisation des combustibles fossiles le plus rapidement possible, en raison du changement climatique. En raison de ces problèmes, nous voulons tirer parti de l’énergie des combustibles fossiles que nous avons, dans une mesure aussi grande que possible, avec de l’énergie que nous pouvons capter à partir de sources renouvelables, comme l’énergie solaire ou le vent.

Dans cette optique, notre principal objectif est de créer des « énergies renouvelables » qui utilisent l’énergie des combustibles fossiles aussi efficacement que possible. L’espoir est que ces énergies renouvelables, avec les actions des gouvernements, permettront à l’économie de se rétrécir graduellement vers un niveau en quelque sorte plus durable.

Ce qui est implicite avec ce dernier modèle, c’est la vision que l’économie, et le monde en général, sont un système fermé. Notre gouvernement actuel et nos chefs d’entreprise sont aux commandes ; ils peuvent introduire les changements qu’ils préféreraient sans que la main invisible ne cause de problème imprévu. Très peu se sont rendus compte que l’économie ne peut pas vraiment rétrécir beaucoup ; l’histoire passée, ainsi que la nature des structures dissipatives, montre que les économies ont tendance à s’effondrer. Les seules économies qui ont au moins temporairement évité ce sort se sont déplacées vers moins de complexité, par exemple en éliminant d’énormes programmes gouvernementaux comme les armées, plutôt que de céder à la tentation d’ajouter plus de complexité, comme les éoliennes et les panneaux solaires.

La situation réelle est que nous avons un problème ici et maintenant de salaires trop bas pour les travailleurs non élitistes. Les prix des produits de base sont également trop bas. Les énergies renouvelables intermittentes telles que l’énergie éolienne et solaire sont considérées comme des solutions, mais il est bien connu que les énergies renouvelables intermittentes entraînent des prix trop bas pour d’autres types de production d’électricité lorsqu’ils sont ajoutés au réseau électrique. Ainsi, ils sont probablement une partie du problème des prix bas et ne font pas partie de la solution. Les solutions temporaires, s’il y en a, sont susceptibles de réduire les dépenses gouvernementales et de réduire la réglementation des banques. En fait, avec l’élection de Trump et le passage de Brexit, l’économie semble se diriger vers une nouvelle optimisation.

Nous savons aussi que les structures dissipatives ne se rétrécissent pas bien du tout. Elles ont plutôt tendance à s’effondrer. Par exemple, vous, en tant qu’être humain, êtes une structure dissipative. Si votre apport alimentaire est réduit à, disons, 500 calories par jour, à quel point pourriez vous continuer à vivre normalement ? Si vous ne pouviez pas vous adapter avec un régime alimentaire à très faible teneur en calories, comment prévoyez-vous que l’économie pourra se rétrécir à un niveau uniquement basé sur les renouvelables ? Les énergies renouvelables qui peuvent être utilisées dans une économie réduite sont rares ; nous n’avons pas beaucoup d’arbres à abattre. Nous ne pouvons pas maintenir le réseau électrique sans les combustibles fossiles.

L’hypothèse que l’économie est un système fermé est à peu près uniformément acceptée comme modélisation de notre situation énergétique actuelle. C’est le résultat d’une incompréhension, jusqu’à récemment, de l’importance des propriétés d’auto-organisation des systèmes inanimés. En outre, la modélisation de l’économie comme un système fermé, plutôt qu’un système ouvert, rend la modélisation beaucoup plus facile. Le problème est que la modélisation du système fermé ne raconte pas vraiment la bonne histoire. Pour une analyse de certaines des questions associées à cette mauvaise modélisation, voir le récent document académique, L’utilisation accrue des biocarburants est-elle la voie de la durabilité ? Conséquences de l’approche méthodologique.

Gail Tverberg

Gail est une actuaire intéressée par des questions d’un monde fini : épuisement du pétrole, appauvrissement en gaz naturel, pénurie d’eau et changement climatique. Les limites du pétrole semblent très différentes de ce à quoi la plupart s’attendent, avec des prix élevés conduisant à la récession, et des prix bas conduisant à une offre insuffisante.
 
Note du Saker Francophone

Cette traduction est aussi l'occasion d'honorer la mémoire de Stéphane qui a traduit nombre des textes de Gail pour notre blog et qui nous a quittés ces jours-ci.
 

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